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Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan]
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« PELAGIA »
| Sujet: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 17.12.15 23:19 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre)Personne, artiste qui exerce l'art de la peinture. Avril 125 Vingt heures. Minuit. Deux heures. Cinq heures. Dix heures. Le peintre est resté éveillé toute la nuit sous l'emprise de l'enflammée. La fiole presque vide, frappée d'un hippocampe de feu, trône encore sur la table de chevet qu'il utilise pour poser sa palette. Il ne travaille pas avant dix-huit heures sur les chantiers d'Aronde. Il dormira plus tard. Alors que l'effet du contrepoison s'estompe, il est là, assis par terre, enroulé dans cette chemise trop grande qui lui sert de tablier, face à son chevalet. Mais il ne le regarde pas ; il sait déjà à quoi sa toile ressemble. Quatre-vingts un centimètres de hauteur. Un mètre de large. Un fond vert anglais qui s'efface sous des couches bleu cobalt, guède, turquin. Beaucoup de bleu. Toujours. Quelques touches ivoires et blanches qui éclaircissent le tout. Il peint Pelagia comme il la voit. Comme il aimerait que tout le monde la voit. Mais ça, il le sait déjà, alors il ne regarde pas son travail encore inachevé. Il se lève lentement, chancelant, attrape la bouteille d'essence et en avale les quelques gorgées restantes. Il n'est ragaillardit que quelques secondes, mais il aime l'effet que lui font ces dernières larmes après plusieurs heures d'exaltation. Cet état, comme entre la torpeur et la frénésie, c'est dans cet état qu'il se sent le plus habile, le plus inspiré. Alors, malgré les effets secondaires, qu'il ne connait que trop bien, il le reproduit. Encore et encore. Onze heures. Voilà une heure qu'il est sorti de sa folie créative et qu'il erre sans but, une cigarette éteinte depuis longtemps à la main, dans son appartement. Enfin, appartement ... Plus un atelier pourvu d'un lit qu'un appartement pourvu d'un chevalet. Dans ses seize mètres carrés, il a poussé lit et table contre les murs afin libérer assez d'espace pour entasser ses toiles, ses pinceaux et ses dessins. Quoique bon nombre d'entre eux traînent au sol sans ordre apparent. Après tout, ce ne sont que des études. Les esquisses qu'il conserve sont rangées dans de large cartons à dessins rouges, empilés à même le sol. Ses toiles sont enroulées dans un coin, se perdent sous le lit ou s'entassent sur la seule étagère de la pièce. Il les dérange rarement ; il n'aime pas contempler son travail et ne le montre que trop peu une fois finies. Et pourtant ! pourtant Arsase sait combien il aimerait exposer ses œuvres au Musée des Beaux-Arts de la cité. Il attrape une chemise entrouverte sur la table et observe les feuilles qui s'y trouvent. Des études fusains et pastels. Animaux marins, bâtiments, rongeurs, corps, tout ce qu'il croise est matière à être croqué. Un demi-sourire se dessine sur son visage en voyant le portrait griffonné, bleu, de Clio. Il ne le lui a pas encore montré. Peut-être même ne le fera-t-il pas. Puis il repose le dessin et ferme la chemise. Alors qu'il se laisse tomber sur son lit, il entend une voix féminine derrière la porte. L'artiste tend le bras de l'autre côté du matelas, met la main sur un briquet encore fonctionnel et, tout en allumant sa cigarette froide, se dirige vers l'entrée. Azores ? |
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« To be Beautiful is to be almost Dead »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 19.12.15 20:12 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Jonatan Oddson était un artiste au moins aussi introverti qu’elle. Il possédait un silence apaisant, inspirant. Azores aimait bien ce jeune homme. Certes pas autant qu’elle appréciait sa muse, mais ce n’était pas tout à fait la même forme d’affection. D’ailleurs, elle sortait de son appartement légèrement désordonné, rangé à la manière d’une artiste qui pensait beaucoup plus qu’elle ne parlait, et faisait claquer ses courts talons sur le sol artificiel de Pelagia. Elle était élégamment vêtue, comme à son habitude. Simplement, et pas avec le chic que possédaient ses collègues logeant au premier niveau. Azores vivait de simplicité, et l’apparence passait loin, très loin, dans ses priorités, même si elle avouait aimer les jolis tissus.
Elle atteint finalement la demeure du petit peintre. Elle était imbibée d’Essence et ça, ça ne changerait jamais. Personne ne saurait dire comment elle était lorsque l’artiste n’en prenait pas. Azores s’inclina vers la porte fermée, jetant un coup d’œil derrière elle, par-dessus son épaule. Elle venait d’oublier comment ses pas l’avaient menée jusqu’ici. Elle chassa les suppositions qui venaient envahir son esprit, ce n’était pas important, puisqu’elle était dorénavant à destination. Sa main toqua doucement, et elle éleva sa voix, mais pas trop.
Elle entendit l’écho de son prénom, et elle entra. Lentement. Ses yeux vitreux atteignirent immédiatement Jonatan et les traces de peinture laissés sur lui par sa folie créatrice. Azores ne fut pas hésitante et entra, promena son regard curieux sur l’appartement du garçon. Le bout d’une chaussure se pose sur le talon de l’autre et elle retire ses talons, laissant ses pieds couverts de bas translucide effleurer le sol.
Azores se laissa porter jusqu’à la toile en cours du jeune homme. Elle ne l’avait pas salué, ce n’était pas très grave. Elle ne dit rien non plus, et contempla en silence. Ses mains son agitées et, si Jonatan ne l’avait pas encore remarqué, elles venaient de trahir sa consommation récente d’Essence. Ses doigts tremblotent contre sa jupe alors que, lentement, de manière fluide, elle tournait son visage vers le garçon. Un doigt s’approcha vivement de la toile sans venir la toucher. Ses mots graves et bas se prononcèrent :
« Pourquoi as-tu mis cette couleur-là ? »
Un reproche ? Non, Azores ne reprochait jamais. Elle questionnait, en toute innocence, sur la toile qu’elle ne savait pleinement comprendre. Si l’ensemble de celle-ci lui apportait un fil de pensées relativement fluide, il y avait cette couleur qui venait briser la ligne directrice de la création. Et la Maitresse d’Art voulait savoir pourquoi.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 21.12.15 22:33 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| A peine eut-il prononcé son nom que la Maîtresse d'Art fit son entrée dans le ridicule studio du peintre. Il aurait pu s'excuser pour le désordre, mais il savait qu'Azores n'en tenait pas rigueur et ferait attention aux feuilles reposant sur le sol. Alors il s'écarte simplement et porte le bâton de nicotine à sa bouche tandis qu'elle se déchausse et s'avance. La jeune femme est élégante. Toujours. Son apparence contrastait avec la folie dont elle pouvait faire preuve lors de ses performances artistiques. Jonatan admirait cette artiste accomplie, à la fois marginale et respectée. Droguée, aussi. Jon le sait. Tout le monde le sait. Mais il vient de finir sa bouteille d'enflammée, le flacon vide toujours en place sur la table de chevet, alors il ne dit rien.
Leurs regards se tournent vers la toile entreposée au milieu de la pièce. Il observe alors véritablement son œuvre pour la première fois. La mélancolie à la fois douce et poignante qui semble l'habiter est propre au peintre. Comme si l'artiste avait voulu retenir un moment de bonheur seulement passager, conscient de sa fragilité. Le bleu glacé des vitres de Pelagia, le bleu sombre des fonds marins et celui des reflets filant sur les créatures nautiques. Jonatan use de signes presque écrits, points, croix, boucles, imbriqués, superposés, qu'il fait s'envoler dans des accords colorés inédits. Puis cette ombre planante, inquiétante, qui obscurcit le tableau malgré les reflets opalins. Ce nuage... jaunâtre, verdâtre ? On ne saurait dire. Ce nuage, sombre, qui s'approche et guette.
Pourquoi as-tu mis cette couleur-là ?
Le fil de ses pensées est interrompu en une demi-seconde. La question d'Azores reste en suspend quelques instants. Le peintre réfléchit. La Maîtresse d'Art le pousse toujours à penser sa peinture. Mais quand il peint, il ne pense pas. Il fait, simplement.
Si j'avais mis plus de rouge, ç'aurait été trop voyant. Si j'avais mis plus de bleu, ç'aurait été trop discret. Si j'avais mis plus de jaune, ç'aurait été trop léger. Si je l'avais faite plus claire, elle n'était plus menaçante.
Une menace. Le mot lui est venu spontanément. La tension, la nervosité dans ses traits le montraient bien avant qu'il ne le dise. Des yeux se dessinent dans l'ombre, observant, épiant, chacun de ses mouvements. Sous l'influence de l'enflammée, Jonatan trouve matière à alimenter sa paranoïa et ses fantasmes. Pourtant, si on le lui avait demandé, il n'aurait pas répondu se sentir menacé. Par quoi, au juste ?
Son regard se détourne de la toile pour se diriger vers la jeune femme. Pourtant, il n'y a aucune raison de se sentir menacé. N'est-ce pas ? ose-t-il, comme s'il demandait confirmation.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 23.12.15 20:57 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Azores attendit la fin de ses explications pour regarder le peintre et lui sourire. Elle non plus ne pensait pas, lorsqu’elle se jetait corps et âme dans une œuvre. Ses pensées l’écrasaient, et ses mains s’agitaient avec instinct, désordre, précision. Elle connaissait les règles de la composition, les proportions, les lois des couleurs et des lumières. Tout était religieusement encré dans sa tête rousse, et elle se faisait un plaisir de peindre en ne respectant rien de tout ce qu’elle avait appris.
Menaçante. L’artiste regarda la toile et pencha la tête sur le côté. Menaçante. Azores avait envie d’y toucher, et rien que d’y penser, son doigt était déjà levé en direction de la toile. Le geste ne fut pas posé, car la peinture se devait d’être respectée. La Maitresse d’Art dont les yeux se croisaient à cause de leur proximité avec la toile, recula de quelques pas. Ses orteils effleuraient doucement le sol avant que le pied ne se pose complètement. Soigneusement, elle évite chaque feuille, chaque esquisse, qui peut joncher le sol. Elle prit de la distance, posée près de Jonatan agité par les mêmes substances qu’elle.
Sa vision de l’œuvre changea. Ses doigts se pliaient et dépliaient frénétiquement, de manière incontrôlable. Tous les effets de l’Enflammée semblaient être condensés dans ses mains, pour qu’elle puisse garder un visage calme, un corps stable. Sa voix grave s’éleva et, si lui la regardait, Azores n’avait d’yeux que pour la peinture.
« De quoi as-tu peur, Jonatan ? »
Tout était une menace. Tout et n’importe quoi. Azores ne prenait pas la sécurité comme acquise. Elle dévia vers l’appartement du garçon, un instant, égarée dans le fil de ses pensées avant de revenir. Une main se leva, avec une légère brusquerie. Ses doigts s’écartèrent et désignèrent la toile et, pour une fois, plutôt de que parler à la peinture, elle s’adressa à l’artiste en regardant ses yeux.
« Cette menace, irais-tu l’enlacer ou tenterais-tu de la fuir ? »
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 27.12.15 21:37 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Quand l'artiste failli toucher sa toile, Jonatan eut un sursaut. Sa main tremblait sous l'effet de l'essence, et il ne pouvait s'empêcher de la voir déraper et effleurer sa toile, accrochant la peinture encore trop fraiche. Heureusement, la jeune femme se reprend, tentant de garder un semblant de calme. Lui ne l'est plus. Le petit peintre se sent devenir euphorique, enthousiaste.
Tu as déjà imaginé la ville s'effondrer ? Toutes ces barrières de verre rompre sous le poids de l'eau ? Ce serait à la fois... Une hésitation. Il cherche le mot juste. ...magique, fascinant et terrifiant. Un rictus se dessine sur son visage. Imagine ! Pelagia, la cité sous-marine, submergée !
L'idée, tel paradoxe, le fait sourire. Il attrape une feuille encore vierge, un fusain et commence à crayonner la cité qu'il connait si bien envahie par les eaux, les poissons, les algues. L'affolement sur le visage des piétons, puis, l'instant d'après, le calme qui retombe. Ils ne peuvent rien faire. Alors ils contemplent. Son regard se tourne quelques secondes vers Azores. Elle fait désormais partie du tableau, là, parmi les passants, cette femme sera rousse, parsemée de taches de rousseurs, le teint pâle. Le geste est vif, assuré. Le peintre sait où il va. Mais rapidement, la question de la Maîtresse d'Art l'arrête.
Si je dessine un requin, parmi ces gens, combien irait vers lui ? Toi, certainement.
Sa voix douce, son débit lent, détonnent avec l'agitation dont il faisait preuve l'instant précédent face à sa planche. Il passe sa main sur son front, étalant la poudre sur son visage.
J'irais aussi. ajoute-t-il après un moment de réflexion. Pas par courage. Par curiosité. Seulement pour connaître ce sentiment. De grandeur, de puissance. Peu importe l'issue. Parce que dans tous les cas, à la fin, tout est fini.
Il pensait finir sa toile la nuit prochaine, mais l'esquisse qu'il a entre les mains lui apporte de nouvelles perspectives. Il la tend vers Azores, sans rien dire, lui proposant même un morceau de fusain.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 30.12.15 18:50 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| L’effondrement de Pelagia. Le plus beau tableau à ses yeux. Ses yeux s’écarquillèrent comme si elle était effarée par cette vision, mais en réalité Jonatan venait d’attirer beaucoup plus que son attention. Azores avait eu raison de s’intéresser au jeune homme et ses peintures. Il n’était pas que peintre de talent, mais également d’esprit. Et rares étaient ceux qui partageaient son amour de la destruction. Tous préféraient construire, garder immuable, mais cela était impossible. Tous devaient faire fasse à la destruction un jour où l’autre.
Azores se détourne de la toile, la nouveauté étant passée, et rejoint l’artiste qui a déjà commencé autre chose. Silencieuse et gardant une distance respectable de la bulle de Jonatan, elle observe son travail. Ses mains s’aplatirent sur la surface où était installé l’homme mais ne demeurèrent pas longtemps immobiles avant de recommencer leur manège incessant. La drogue, la drogue. Celle-ci l’empêchait de se tenir correctement, autrement qu’en lui mettant quelque chose entre les doigts.
Elle fit un sourire. Elle irait, bien évidemment ! Les requins étaient d’imposantes créatures, des rois des fonds marins. Elle n’enlacerait pas cette menace seule, Joanatan le ferait aussi. À quoi bon fuir ? Ses mots suivants exprimaient bien sa pensée et la Maitresse d’Art ne fit que pencher la tête sur le côté, déplaçant avec légèreté ses boucles rousses.
Azores accueillit l’esquisse avec tendresse et attrapa de sa main blanche le fusain. Elle attendit et observa. Se presser n’était pas la solution des artistes, ainsi prit-elle le temps d’analyser ce qu’avait fait Jonatan avant de se lancer. La femme se servait plus de son cœur que de son cerveau quand elle créait. Ses lignes étaient brusques et instinctives, ses mouvements rapides et sûrs. Elle ajouta en fond un bâtiment presque détruit, qui se fondait dans le paysage dorénavant aquatique de Pelagia.
« Je préfère avoir des remords que des regrets. » Murmura-t-elle de sa voix grave avant de renvoyer l’esquisse à son propriétaire.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 04.01.16 14:45 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Comme un film qui se dessinait sur le papier, ils mettaient en scène une comédie à la fois funeste et risible. Chaque trait en ajoutait à l'histoire dont ils étaient le narrateur singulier. Jonatan avait annoncé la situation de base, Azores y ajoutait les péripéties, il ne manquait qu'un dénouement. Un point final, pour clore le conte tragique. A la fin, tout est fini. Oui, l'issue ne serait pas une de ses fins heureuses des contes d’antan. Pas de miracle, pas de fantaisie. Une simple réalité. A la fin, tout est fini.
Cependant que la Maîtresse d'Art fait glisser le bâtonnet de carbone sur le papier, le peintre est là, immobile. Le temps lui semble comme ralenti, presque suspendu. Mais l'artiste à ses côtés a vite fait d'ajouter sa touche à l'esquisse, et le temps reprend son rythme, instable et éphémère.
Des remords plutôt que des regrets... répète-t-il dans un souffle, comme un mantra.
Était-il possible de ne rien regretter, jamais ? La question le laisse songeur, fouillant sa mémoire à la recherche d'actes manqués. Il sait qu'il aurait préférer regretter certaines choses que d'en connaître les conséquences. Il balaie l'air de sa main gauche et secoue la tête brièvement, comme pour passer à autre chose. Il attrape machinalement la feuille que lui tend Azores et tire le tabouret attendant sous la table pour s'y poser, invitant l'artiste à s'asseoir par la même occasion.
Attrapant un morceau de pastel bleu nuit, il ajoute sereinement, regardant la Maîtresse d'Art, Certains remords peuvent être aussi lourds à porter que des regrets.
Puis, reportant son attention sur l'esquisse, il commence une mise en couleur brouillonne. Sombre mais vive. Peu à peu, Pelagia devient réelle, presque palpable, ses traits prennent en confiance. Le croquis s'approche plus d'une étude, presque figurative, que des frasques abstraites habituelles de Jonatan. Oui, cette toile sortira du cadre. Dans tous les sens du terme.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 07.01.16 5:35 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Elle se tira un tabouret et s'installa juste devant le jeune artiste. Elle le regarde ajouter une nouvelle fois sa touche dans leur esquisse. Tous deux ont un style bordélique, loin d'être lisse et plat. Ils dessinent par passion, émotion. Azores voulait donner une forte impression avec ses toiles, pas que l'on s'exclame qu'elles sont de belles reproductions de la réalité. L'esquisse était agitée, toute une histoire s'y déroulait et il suffisait d'un peu d'imagination pour s'y plonger. La, juste la, sur ce simple bout de papier.
Jonatan avait tout a fait raison. Les remors et les regrets s'équivalaient. Néanmoins, la Maitresse d'Art croyait fermement que l'un apportait davantage d'expérience de vie que l'autre. Apprendre de ses erreurs ou craindre ce que l'on pourrait accomplir ? Azores était une femme sensiblement impulsive. Elle y allait avec son instinct, avec son coeur. Elle vivait tout comme elle peignait. Oh, elle encourageait les autres a en faire autant. La seule chose qu'elle exigeait était toute simple :
« Il faut savoir en assumer les conséquences. »
Ce que peu faisaient, par mauvaise fois, parce qu'ils n'ont jamais le choix. Azores n'aimait pas cette vilaine hypocrisie, de ce fait elle préférait largement vivre dans la modestie du second niveau qu'au premier, comme tous les autres conseillers. Et puis elle se perdait trop facilement dans les grandes grandes maisons ! Le confort de son petit trois pièces lui convenait parfaitement mais, bientôt, elle changerait. Elle le devait.
Azores sort un pastel rouge de son coffre. Un rouge qui constraste avec le bleu envahissant Pelagia, un rouge qui peut être la source de bien des émotions, des souvenirs. Du bout des doigts, elle le fit glisser jusqu'a Jonatan. Elle lui envoya une suggestion, une idée. L'esquisse, devenant presque figurative, a besoin de garder de son authenticité. La craie tacha sa peau blanche, et ses yeux vitreux s'arrêtèrent sur le pigment opaque.
« Penses-tu qu'Angus Jäger était un requin ? » Lacha-t-elle distraitement.
La Maitresse d'Art exprimait peu ses idéaux politiques. Ils ne correspondaient pas a ceux de ses collègues. Azores voyait le changement qui arrivait a l'horizon, elle ne fermait pas les yeux devant la rébellion qui se formait. Perdre son poste, son titre, son confort, ce n'était pas ce qui l'effrayait. Contrairement au Grand Argentier, elle ne s'était pas attachée aux traditions, et accueillerait avec sérénité une ère nouvelle.
« J'aurais aimé le rencontrer. » Finit-elle avant d'étendre le rouge sur le revers de son autre main.
Azores leva les yeux et regarda l'esquisse. Elle sourit. Elle possédait beaucoup d'affection pour le travail de Jonatan, peut-etre qu'un jour elle lui proposerait un projet, une collaboration.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 08.01.16 23:34 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Alors qu'Azores poursuit ses réflexions, le peintre continue d'étaler les pigments sur le papier. Ses mains jouent seules, troquant parfois le morceau de pastel contre une teinte plus claire, sa peau disparaissant peu à peu sous la poudre bleuâtre. A cet instant, il n'écoute déjà plus vraiment, entièrement concentré sur son geste, vif, précis, confiant. Les yeux toujours rivés sur l'esquisse, la main ferme, il entend la Maîtresse d'Art fouiller dans ses affaires et lève le regard brièvement, le temps de voir émerger un pastel rouge.
La couleur ne lui est pas familière. Chaude, vivante, elle dégage quelque chose dont il ne sait se servir, à la fois sensuelle, ardente et... violente. L'artiste lui lance un défi, le poussant un peu plus dans ses retranchements. Il attrape délicatement la craie, presque du bon des doigts, effleurant à peine la peau blanche de sa complice. Le regard plongé dans ce pavé vermillon, la main en suspension devant son visage, il réfléchit longuement à la meilleure façon de l'utiliser. Mais il n'y en a pas. Il n'y a ni meilleur ni pire : seulement le vrai ou le faux. Alors il ferme les yeux, un instant, cessant toute réflexion, puis il étale une fine couche de poudre sur ses doigts et donne enfin vie à la foule couchée sur le papier. Les personnages semblent s'éveiller sous ses doigts, la teinte carmin devenant pourpre sous l'alliance des nuances bleues déjà posées.
Le nom de Jäger le tire de sa rêverie. Un nom dont il sait à quoi il fait référence mais dont il ne sait quoi penser. L'actualité de ses dernières années l'avait fait s'intéresser à la Compagnie, mais, s'il ne se prononçait pas contre leurs idéaux, il préférait se tenir autant que possible à l'écart de toute violence.
Un requin... commence-t-il doucement Si Jäger était un requin... Tu penses qu'il était de ceux qui attaquent à l'instinct ou de ceux à l'air menaçant mais ont aussi peur de nous que nous d'eux ? La grosse bête qui a peur de la petite ou celle qui est une vraie menace ?
La question s'adresse autant à Azores qu'à lui-même. Pourquoi pas les deux, après tout ? Qui de la Compagnie, de Jäger, ou du système était la menace ? Qui était la grosse bête ? La question le laisse perplexe. Il n'a pas de réponse, peut-être n'y en a-t-il pas... Il reste imperméable à ce genre de préoccupations.
Cette fois, plutôt que de laisser le sous-entendu faire le reste, il s'adresse directement à la Maîtresse d'Art : Tu en penses quoi ? , sans préciser s'il parle du dessin, de la Compagnie, ou simplement des idées.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 09.01.16 10:55 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Le rouge était une teinte ambiguë. Elle était souvent présente dans les toiles d'Azores, parfois proéminente, parfois discrète, mais toujours là. Le rouge montrait de la passion, à la fois amoureuse et violente, inquisitrice et débauchée. L'esquisse que traçait le jeune artiste était trop bleue. Pourtant, la Maitresse d'Art aimait cette couleur, c'était d'ailleurs sa préférée. Le bleu gardait son esprit en paix, son corps au calme, mais... Elle avait besoin de plus, que ses pensées soient à la guerre, son corps remplit de torpeur. C'était ici qu'intervenait le reouge. Ici et maintenant, Jonatan se devait de l'intégrer, de la dompter.
Le nom d'Angus Jager fut prononcé par l'artiste aux cheveux roux. Le sujet devenait délicat. Pour n'importe qui d'autre, mais pas eux, ou du moins pas elle. Azores ne voulait pas que l'on caresse dans le sens du poil son point de vue sur le monde, elle désirait qu'on l'affronte avec une vision opposée, adjacente, différente. Elle n'enverrait pas en prison le moindre partisan d'une idée nouvelle, d'une idée qui ne correspond pas aux supposés idéaux du Conseil.
Jonatan répond à sa question avec d'autres questions. C'était de pousser le raisonnement plus loin, de tapoter doucement le chemin qui s'étalait devant eux. Ni l'un ni l'autre ne connaissait Angus Jäger, qui étaient-ils pour parler en son nom ? Azores plissa le nez au cours de ses réflexions et ses lèvres s'écartèrent pour laisser aller un son grave, lent.
« Un peu de tout, un peu de tout. De la peur nait beaucoup de chose. La haine, la force. »
L'artiste se pencha un peu plus vers l'avant pour regarder l'avancement du travail de Jonatan. Il exploitait bien le rouge et cela la fit sourire un peu. Ses yeux se plissèrent à leur tour, encore un peu vides, absents.
« Son instinct l'a forcé à agir, peut-être... Face à la peur, de ce qui est arrivé ? Arrivera ? »
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 09.01.16 19:40 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Ses mains prenant une teinte aubergine, le peintre attrapa un chiffon déjà coloré au bout de la table pour enlever le surplus de poudre. Si son visage virait souvent au multicolore, il tenait à ce que ses paumes restent blanches, pour ne pas risquer un faux mouvement qui viendrait salir une nouvelle œuvre. Ses mouvements sont lents, appuyés, cherchant à dégager chaque grain des nervures de ses mains.
Tout en frottant, il profite de cet instant, comme de paix, pour observer. Sa tête se balade de gauche à droite, ses yeux s'arrêtent parfois sur un détail : un pot mal fermée rempli de la fine poudre pigmentée qu'il mélange à l'eau, à un oeuf parfois, quand il peint ; le loquet de la fenêtre trop remonté, la peinture des battants qui s'écaille. Son regard se relève vers Azores, ses mèches rousses reposant sur ses épaules, le pli du tissu de sa robe sur ses jambes, les fines tâches de rousseur sur son visage. Enfin, son attention retombe sur l'esquisse, comme mise sous silence quelques secondes.
Pendant ce temps, il écoutait toujours la Maîtresse d'Art. La conversation retombait sur ses pieds. La peur, la menace. Jonatan ne savait pas si les dernières phrases de l'artiste appelait à réponse. Dans le doute, il renchérit Et sa peur était, est toujours, fondée ? Il oubliait souvent qu'Azores siégeait au Conseil, pouvait même en savoir plus que lui. Ici, elle n'était qu' une artiste et une amie.
La poussière colorée s’agrippant toujours, il se lève lentement et se dirige, chancelant légèrement, vers le robinet. Robinet qui ne laisse échapper que quelques gouttes avant de refermer. Niveau 3 oblige, l'eau n'est pas toujours au rendez-vous quand on l'attend. Alors il râle, doucement, par principe. Au fond, il ne reste que de minces traces des pastels sur ses mains, ça peut attendre. Faisant demi-tour rapidement, il lâche, pour lui-même, J'ai faim.
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 13.01.16 23:02 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Jonatan observait partout. Tout. Il regardait les détails qui tombaient sous ses yeux, les petites choses les plus insignifiantes. Il prenait le temps de le faire, d’attendre et d’apprendre. Peu y arrivaient, beaucoup voulaient aller trop vite. Oublier et laisser de côté des choses pouvant se révéler importantes. Ou pas. Mais qui étaient-ils pour juger la valeur de ce qui existait ? Azores, de son côté, agissait de la même manière. L’être humain la fascinait. Ils étaient si différents des uns et des autres. L’artiste se sentait parfois extérieure, comme si elle assistait aux scènes d’un roman en face.
« Toujours. » Répondit-elle, de manière nonchalante, lasse.
La peur, quelle sensation étrange. Azores ne la ressentait plus depuis très longtemps. Dans sa prime jeunesse, elle l’avait éprouvée de nombreuses fois. Face au Maitre d’Art, face à l’Art en elle-même. La conseillère était vidée, ses émotions atrophiées. Tout était éphémère, tout s’éteindra un jour où l’autre, il fallait seulement du temps et de la patience. On ne pouvait lutter contre cela, et elle en était des plus conscientes.
« Mange. »
Aussi simple que cela. Azores tend la main et fait glisser jusqu’à elle l’esquisse, puis les craies. Tout était vif, vivant. Jonatan avait bien relevé le défi. Le rouge était rouge, pas devenu mauve à se mélanger au bleu. Il n’y a pas de noir. Le noir était une couleur forte, sale, qui faisait des taches. On ne pouvait dessiner par-dessus et l’utiliser était indélébile. Azores ne prenait du noir qu’en dernier, à la toute fin.
Elle continua le dessin. Les formes tracées par Jonatan devinrent, sous sa main, légèrement plus figurative. L’on y reconnaissait Pelagia, et son paysage qui se noyait. Ah, elle aimerait bien voir la ville sous-marine s’effondrée, un jour. Sans s’en rendre compte, elle répéta :
« De quoi as-tu peur, Jonatan ? »
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| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 14.01.16 23:12 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Il ne savait pas si Azores l'entendrait. Mange C'était aussi simple que ça. En retournant s'asseoir aux côtés d'Azores, il attrape une pomme trainant à côté de l'évier. Il l'élève quelques instants au niveau de ses yeux, pour mieux la voir, étudiant rapidement le reflet des pâles lumières de son appartement sur le fruit, et croque une première bouchée en s'asseyant. L'artiste s'était appropriée l'esquisse et y apportait de nouveaux traits. Le peintre était penché à ses côtés, contemplant l’œuvre commune qu'ils créaient. Il aimait voir ses doigts s'activer sur le papier, doigts encore légèrement vacillant sous l'empire de l'essence. Pelagia se transformait petit à petit, devenant leur.
La conversation avait dérivé et le Maîtresse d'Art revenait à sa première question. De quoi avait-il peur ? La question le poussait à l'introspection. Avait-il vraiment peur de quelque chose ? Rien de tangible ne l'effrayait vraiment. Il venait de le dire, il n'avait pas peur de la mort. A la fin... Il n'avait rien à perdre. Rien sauf...
Ça. avance-t-il, comme sur le ton de la confession, en balayant l'air de son bras libre, montrant tour à tour les toiles trainant au sol, les petits pots de verre remplis de poudre reflétant divers pigments. J'ai peur de perdre ça. Son chevalet, l'esquisse entre les mains de la Maîtresse d'Art. Ne plus pouvoir peindre. Il avait développé au fil des années un besoin viscéral de s'exprimer à travers son art. Tu y as déjà pensé ? ajoute-t-il instinctivement. Ne plus créer... La fin de sa phrase se perdit dans l'atmosphère. C'est comme ne plus exister.
Oui, voilà ce dont il avait peur. Il pouvait bien perdre le peu de confort qu'il avait dans ce ridicule appartement, même sa voix, son ouïe. Mais la peinture... L'idée lui tordit l'estomac à sa simple évocation. Il pouvait bien perdre une main, un bras, les deux, il trouverait le moyen de peindre. Le besoin primaire de créer reprendrait le dessus. A la force de toute autre partie de son corps, il peindrait tant qu'il le pourrait. Mais imaginer perdre toute capacité de création, mentalement, physiquement... L'idée lui était tout simplement insupportable.
Je n'imagine même pas. finit-il dans un souffle. |
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« To be Beautiful is to be almost Dead »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 18.01.16 20:50 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Elle non plus, n’était pas effrayée par des choses tangibles. Elle ne ressentait rien d’irrationnel en hauteur, enfermée, entourée, devant un rat, devant le sang. Azores était comme vidée, comme si elle avait limité ce qu’elle pouvait ressentir. Même la mort ne l’inquiétait pas, car elle savait que, à la fin de tout, c’était là qu’elle se retrouverait. Doucement ou durement.
Azores suivit des yeux ce que désignait Jonatan. L’art. Son art. Elle comprenait bien, trop bien. Elle aussi, avait craint de ne plus pouvoir peindre. Parfois, même, ce sentiment lui revenait, un court instant de panique à l’idée d’affronter Pelagia sans sa peinture. L’artiste se reprenait, se rhabillait d’un certain pragmatique, fatalisme. Elle ne pouvait prendre pour acquis qu’elle peindrait toute sa vie.
Discrètement, dans le silence, elle hocha la tête. Elle y avait souvent pensé. Ses yeux parcouraient la silhouette de Jonatan, une main vint toucher les cheveux du garçon quelques secondes, y glisser avant de revenir se positionner sur sa jupe. Que ferait-elle si elle ne possédait plus la capacité de créer ? Il fallait qu’elle y réponde. Cela l’avait rongée, cette curiosité malsaine à toujours pousser, se tester, face à elle et face aux autres.
« J’ai imaginé, j’ai vécu. » Dit-elle de sa voix grave. Tendant un bras, elle releva sa manche et désigna une drôle de cicatrice –différentes des autres couvrant sa peau. Le bout de son doigt en fit le tour et elle reprit. « J’ai demandé à un autre artiste d’utiliser une arme à feu sur moi. » Derrière chaque performance se trouvait une histoire. « Pendant plusieurs semaines je ne pouvais pas utiliser mon bras. » Ce bras, ce côté maitre chez elle. Et malheureusement, Azores n’était pas ambidextre. « Tu me connais, ce n’est pas ce qui m’a arrêté. » Un sourire apparut sur ses lèvres, alors qu’elle baissait sa manche et redonnait à Jonatan l’esquisse d’une Pelagia détruite.
« Ce fut temporaire, certes, mais je crois que quoi qu’il arrive, un artiste arrivera toujours à s’exprimer. »
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« PELAGIA »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 22.01.16 19:41 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| La déclaration de la Maîtresse d'Art l'arrête quelques secondes. Lui n'avait fait qu'imaginer. D'elle-même, elle avait demandé à cet artiste de lui empêcher toute création. Presque toute expression de son art. Tu me connais, ce n’est pas ce qui m’a arrêté. La remarque lui arrache un sourire. Non, bien sûr, Azores ne s'arrêterait pas à ça. Il admirait cette force qu'elle avait de créer coûte que coûte. Lui, qui ne savait s'exprimer autrement que par sa peinture, se demande bien comment il le vivrait. Comment il survivrait, plutôt. Pourquoi est-ce que tu le lui a demandé ça ? Et pourquoi cet artiste avait-il accepté.
Il attrape le dessin que lui tend l'artiste, inclinant la tête pour mieux le voir. Quoi qu’il arrive, un artiste arrivera toujours à s’exprimer. L'assurance de la Maîtresse d'Art le rassure. Oui, elle a sûrement raison. Mais il ne peut s'empêcher de douter. Et si... Reposant l'esquisse, qui ne cesse de traverser la table dans les deux sens, laissant quelques poussières colorées sur la planche de bois, il attrape un pastel bien plus clair que les premières couleurs posées, ivoirin. Il en étale la poudre en rais de lumière, venant éclairer les bas fonds de la cité. Une lueur d'espoir. Le dessin suivait le cours du dialogue entre les deux artistes, comme un troisième interlocuteur, appuyant les réponses de l'un et de l'autre.
La lumière est vite ajoutée et il repose son morceau de pastel sec en relevant la tête vers Azores. N'importe qui la penserait folle, et le mot lui viendrait presque à l'esprit, mais il ne voit que l'artiste, qui ose mettre à défi son corps au prix de l'art. Un prix parfois immense, qui pouvait s'avérer mortel. Un jour, tu vas finir écrasée par une de tes œuvres. Avec elle, il n'avait pas peur des mots. Ils communiquaient autant par la paroles que sur le papier, ils se comprenaient. |
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« To be Beautiful is to be almost Dead »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 01.02.16 5:31 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Pourquoi l’artiste avait-il accepté. Pourquoi avait-il tiré sur un membre du Conseil, sur, sans doute, une amie. Et le pâle fit son trajet sur l’esquisse qui devenait davantage un réel dessin qu’un simple croquis. L’espoir au travers la destruction, une nouvelle ère, une page de tournée dans l’histoire du monde. Azores aime voir le garçon s’exprimer. Elle passerait des heures à le regarder faire mais lui, comme n’importe qui, ne devaient pas apprécier le regard intense et perçant qu’elle posait sur autrui.
Puis un soupir. Azores leva un peu le menton et dodelina. « Oui, sans doute. Mais il serait hypocrite de me retenir. »
Mais pourquoi avait-elle fait une telle demande auprès de l’autre artiste. La Maitresse d’Art possédait un raisonnement difficile à suivre, une méthode de pensée bordélique et confuse, compliquée à verbaliser. Ses doigts se promenaient contre le bois, s’approchèrent du bras de Jonatan mais sans l’y toucher.
« Je le lui ai demandé parce qu’il n’avait aucune raison de le faire. » Et dans cette phrase l’on pouvait deviner que son collègue n’avait pas accepté tout de suite. Azores laissa ses yeux se lever, regarder le plafond, elle pensa. « S’il en avait une, ce serait sans intérêt. » Étrange, décalé. L’artiste était folle, reconnue ainsi depuis plus de quinze ans. Fidèle à elle-même.
L’esquisse, les lueurs pâles de Jonatan. Azores pointa une partie qu’elle venait de dessiner.
« Pourquoi as-tu fait la lumière se refléter ainsi ? »
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« PELAGIA »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 07.02.16 23:28 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Bien sûr. Le peintre penche la tête en signe d'acquiescement. Il serait bien le dernier à vouloir arrêter Azores, ou n'importe quel artiste. Et quand bien même, la Maîtresse d'art l'avait exprimé avant : l'art trouve toujours un chemin. Il laissa l'artiste parler avant de relever la tête. Il aimait l'écouter. Les deux marginaux qu'ils étaient parlaient peu mais en signifiait toujours bien plus.
Pourquoi as-tu fait la lumière se refléter ainsi ? La rousse le poussait encore à réfléchir sa peinture. Je n'ai fait que... Le peintre cherche ses mots quelques instants, levant les yeux au ciel comme s'il allait y trouver la réponse. S'il peint, c'est bien pour ne pas avoir à s'exprimer à travers les mots. C'était simplement... Non, les mots sonnent encore faux. Pas comme ça. Je t'ai écouté. finit-il par lâcher, les yeux perdus dans le vague. S'il avait été plus poétique, il aurait dit qu'il avait suivi son cœur. Après tout, c'est comme ça qu'il a toujours peint.
Il relève le menton vers l'artiste en tournant le dessin vers elle. En tout cas c'est ce que j'ai entendu. Tu ne pensais pas à ça ? Il ne doutait pas. Beaucoup de choses sont incertaines, mais pas sa peinture. Il apprécie seulement d'entendre l'approche d'Azores, plus provocante et décalée que lui. Le duo d'artiste se complétaient sur de nombreux plans, l'esquisse face à eux le montrait bien. Finalement, ses yeux retombent sur ses mains, éclaircies par le pastel pâle. Machinalement, il attrape le morceau de tissu flânant sur la table et étale la poudre sur le tissage, puis le tend à la Maîtresse d'Art, qui a probablement les mains dans le même état que lui.
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« To be Beautiful is to be almost Dead »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 17.02.16 23:07 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Sa question prit Jonatan comme une claque à la figure. Azores fut silencieuse, et elle patienta en le fixant. Il réfléchissait, creusait dans le fond de sa petite tête d’artiste. Qu’allait-il dire ? La maitresse d’art elle-même ne saurait comment traduire ses peintures. Elle créait pour ne pas parler. Elle détruisait pour ne pas hurler. Le jeune homme avait un style plutôt abstrait, mais plein de sens. Et ce sens, il ne devait pas le perdre. Certains peignaient des formes hasardeuses et sans profondeur. Azores les laissait de côté. Jonatan avait du potentiel, mais il était timide. Elle se devait de le pousser. Pas comme elle avait été poussée dans le passé, cependant.
Un sourire, amusé, touché. Et elle regarda à nouveau à la toile toute fraiche du peintre. Elle sembla comprendre l’émotion qui transparaissait parmi les couleurs. Elle n’ajouta aucun mot, ce n’était pas nécessaire de toute manière. Même avec le minimum, l’homme s’était justifié et elle n’en avait rien à redire. Azores croisa les jambes sous sa jupe et accepta d’un hochement de tête le chiffon que lui tendit son collègue artiste.
La craie disparut facilement de ses doigts, sauf pour la poudre coincée au niveau de ses cuticules.
« Je suis en train de monter une exposition temporaire pour un centre d’exposition. » Au premier niveau. Un lieu simple mais riche où l’on se rencontrait pour discuter de l’art et ses tourments. Parfois les discussions pouvaient être profondes, mais l’on n’abordait jamais les vrais problèmes, les vraies émotions. Néanmoins, cela demeurait un centre d’exposition. « Aimerais-tu que l’une de tes œuvres en fasse partie ? »
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« PELAGIA »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 07.04.16 23:43 par Jonatan Oddson | Citer Editer Supprimer |
| Le peintre ne la quitte pas des yeux pendant que la Maîtresse d'Art réfléchit. La tête légèrement penchée sur la gauche, ses pupilles se promènent de haut en bas, s'arrêtant sur les traits fins de l'artiste, semblant chercher et compter chaque tâche de rousseur. A part ses doigts, qui s'agitent doucement, au rythme de ses pensées, le peintre est parfaitement immobile, en pleine contemplation.
L'annonce d'Azores brise l'instant et lui fait secouer la tête, comme pour sortir de sa torpeur. Une exposition. Il ne le montre pas, mais Jonatan éprouve un certain sentiment de fierté à la proposition de l'artiste ; fier d'avoir la reconnaissance de la Maîtresse d'Art. Mais exposer, rien qu'une seule toile, surtout une seule toile, c'est se livrer, soi, au public. Et n'avoir qu'une chance de le convaincre. S'il peignait d'abord par besoin, Jonatan n'était pas feint envers son ambition de vivre de sa peinture. Le choix de l’œuvre n'était pas anodin.
Tu penses à quelque chose en particulier ? Sa voix grave est posée, l’excitation ne se lit que dans ses yeux, brillants d'envie. Son regard balaye les toiles entreposées dans l'atelier — le portrait de ce gamin, capturé sur le port, de nombreuses esquisses de Pelagia ; des compositions plus abstraites, dans lesquels on semble discerner des yeux, parfois sombres, d'autres protecteurs ; même quelques chats errants au travers des rues — pour s'arrêter sur la toile trônant encore sur son chevalet et finir sa course sur l'esquisse reposant sur la table. Non, ils ne manquaient pas de possibilités.
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« To be Beautiful is to be almost Dead »
| Sujet: Re: Peintre n.m (lat. pictor, de pingere, peindre) | Avril 125 [Azores & Jonatan] 16.04.16 3:55 par Azores Lullaillaco | Citer Editer Supprimer |
| Azores la vit, cette étincelle qui brilla dans les yeux de Jonatan. Elle ne put y échapper, la Maitresse d’Art savait que, malgré son calme et surtout, son immobilité, il était excité. Cependant, cela nécessitait beaucoup de courage de livrer une œuvre à un public. L’artiste croyait en la force du garçon, il ne venait qu’à lui dit prendre la main tendue. Azores ne pressait rien, la vie de servitude qu’était celle d’artiste était périlleuse, peu s’y lançait pleinement et ce, tête première.
« Oui. » Elle pense toujours à quelque chose. « Mais ce doit être ton œuvre, pas la mienne. »
Évidemment, la création de cette fameuse œuvre serait une épreuve. Azores ne prendrait pas n’importe quelle toile du jeune homme pour l’entourer d’un cadre au sein d’une exposition ordinaire. Néanmoins, il lui fallait une piste à suivre, même une toute petite. Sa main s’étira et l’artiste touchait du bout des doigts les cheveux épais de Jonatan. Elle replaça, avec une délicatesse infinie, une mèche de cheveux pour la faire tomber devant le teint pâle du garçon. Son doigts effleura finalement le visage de l’artiste, traversant ses traits pour terminer avec un petit coup d’index sur le nez.
« Chacune de mes toiles est une partie de moi, de ma vie. » Abstraite et pleine de couleurs, démontrant tourments et passion. Le garçon aux yeux noirs emplis de désespoir, pour l’inspiration. « Peins quelque chose de vrai, d’ambigu. »
Azores avait ses obsessions, jouer sur les ambiguïtés en faisait partie. N’était-elle reconnue pour voir la souffrance et la douleur comme des choses positives, appréciables ? De créer pour ensuite détruire ? Après, ses plus grandes œuvres n’étaient plus de ce monde, l’artiste avait refusé de garder ces merveilles, refusé de s’y attacher. Et Jonatan devra en faire autant, car Azores ne prévient pas, lorsqu’elle décide de détruire.
Son expression sur durcit, comme elle approchait son visage sévère du jeune homme. Un avertissement.
« Tu peux utiliser tes peurs, tes fougues, tes détresses pour créer, mais surtout, ne peins pas dans la crainte de me décevoir, de décevoir ceux qui poseront les yeux sur ta toile. Tu n’es pas une poupée de chiffon, je veux autant de profondeur sur cette œuvre qu’il y a de marques sur ton corps. Je ne te proposerai même pas le droit de décliner mon offre, je sais que tu peux le faire. »
Azores n’étant pas la plus brusque ou la plus crispée des demoiselles, elle reprit rapidement un air semi-absent semi-souriant.
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