« i'm still learning to love ▲ Adrianna

Juste le temps de passer chez elle, d’attraper un sac et d’y abandonner ses affaires pour la nuit. Le strict nécessaire mais avec du plus en prime. Juste assez pour jouer aux adolescentes attardées – elle dira que ce n’est pas elle qui en a eu l’idée. Elle enfuit le chargeur de son téléphone portable dans le fond de son sac. Au cas où elle viendrait à mourir. Elle se lève, s’aventure dans le salon en essayant de ne pas trébucher sur cette boule de poils rousse en plein jeu. Elle se plante devant la pile des DVDs. Qu’est-ce qu’elle peut lui proposer de beau… ? Elle attrape « Valentine’s day » sans grande conviction, « Le labyrinthe de Pan », « Arnaque à la carte », « Happiness therapy ». Puis, elle se dit qu’Adrianna a certainement d’autres films. Elle, elle n’a pas grand-chose.

Il faudra qu’elle passe au supermarché en partant, pour choper des glaces. Oh, elle lui avait dit quoi encore, Adrianna ? Ah oui, que ça lui importait peu, qu’elle allait commencer un régime de toute manière. Un régime, bordel. Elle roule des yeux, son sac sur l’épaule, son portable dans une main. N’importe quoi, du grand délire. Comme si Adrianna avait besoin d’un régime. Elle est pulpeuse, c’est tout. Elle est pulpeuse et ça la rend sexy. Alba, elle… Elle passe son tour. Elle est difforme, elle a fini par s’y habituer. Elle pousse les portes du supermarché, s’enfuit vers les rayonnages du fond pour attraper un pot de glace au caramel, un à la vanille, un autre au chocolat et le dernier à la noix de Macadamia. Des choix basiques, elle le vit bien. Elle paie, quitte le supermarché. Dix minutes, Alba. Un record.

Elle n’a pas envie de prendre le bateau. Elle préfère marcher. Marcher vite, pour les glaces, mais marcher quand même. De toute manière, ce n’est pas comme si c’était loin. Elle avance, le nez en l’air en détaillant l’infrastructure de sa ville natale. Elle remarque les petites choses, même les plus subtiles. Et ça la fait sourire. Plus elle avance, plus elle reconnaît les lieux. Elle passe à proximité du musée mais, à cette heure, elle a peu de chance de croiser Pietro ou un autre de ses collègues. Elle atteint les résidences, continue jusqu’à l’immense palais d’Adrianna. Oh, merde quoi. Elle sonne timidement à la grande porte, piétine le sol nerveusement. Elle se sent petite à côté de tout ça. Et pauvre, aussi. Terriblement pauvre. Elle décide de baisser les yeux jusqu’à ce que la porte s’ouvre sous son nez. Elle soupire quand elle voit Adrianna et non un domestique quelconque.

Alba – Oh mon dieu, Adrianna ! Ta maison – non, je ne peux pas appeler ça une maison – ton palais est… Enorme. Il me donne le vertige.

Elle s’évente le visage de sa main gauche. Non, vraiment. C’est terrible, tout ça.

D’accord. D’accord. Elle ne peut pas tomber dans les pommes sous peine de rester là, sur le carrelage, jusqu’à ce que ses esprits reviennent. Non, elle n’avait pas l’intention de s’effondrer, quand même pas. Mais là, il lui fallait un temps d’adaptation. Elle avait l’habitude de voir de grandes choses au musée. Mais là, ça lui semblait normal que les choses soient gigantesques. Là, dans la demeure d’Adrianna, elle avait l’impression que c’était plus bizarre qu’autre chose. Mais enfin… Comment une jeune personne peut-elle vivre dans un palais comme ça, seule ? Alba aurait déjà du mal de vivre dans son appartement sans Aline alors dans un palais… Elle en perdrait la tête. Tout résonne ici. Les pas sur le carrelage, la voix d’Adrianna. Chaque son se voit amplifier, lancer sur un mur pour revenir encore plus puissant.

Alba – Ça va, ça va. Je ne vais pas m’évanouir, laisse-moi juste le temps de reprendre mes esprits et de me dire que je ne suis pas si petite que ça. Je suis choquée, ça, c’est sûr.

Adrianna la prend dans ses bras, Alba sourit. Ça alors. Une surcharge d’amour.

Alba – T’as l’air bien heureuse, aujourd’hui. C’est quoi ? Le fait de passer la soirée en ma compagnie ou… Oh, non. Ne me dis rien. Tu me raconteras plus tard. Sinon, on n’aura plus rien à se dire et je n’ai pas envie de parler de la météo.

Alba suit la main d’Adrianna sur toutes les merveilles du hall d’entrée. Si elle lui disait que son hall faisait peut-être un peu moins que la superficie de son appartement au total, est-ce que ce serait mal vu ? Elle secoue la tête en souriant. Même si la deumeure d’Adrianna est en travaux, Alba ne peut s’empêcher d’être à la fois admirative et effrayée.

Alba – C’est… C’est impressionnant, vraiment. Je veux dire, dans mon esprit, on ne pouvait pas vivre dans quelque chose d’aussi énorme.

Elle fait un tour sur elle-même, le nez en l’air.
Oh, merde quoi.

Alba – Allez, fais-moi visiter. Je veux voir ça de plus près – enfin, non. Ne me laisse pas aller trop loin, sinon, je vais passer la nuit à observer les détails.

Puis, elle se rappelle soudainement qu’elle a quatre pots de glace dans son sac. Elle regarde Adrianna.

Alba – Mais avant, il faut que j’aille envahir ton réfrigérateur. Sinon, nos pots de glace ne ressembleront plus à rien…

Elle suit Adrianna dans un dédale de pièces toutes aussi grandes les unes que les autres. Elle écoute attentivement l’histoire de cette demeure. Des complots, un orphelinat. Oui, c’est sûr, il y avait la place. Elle regarde tout ce qu’Adrianna lui montre. Les tapisseries, les grands miroirs, le jardin intérieur et sa fontaine. Elle observe tout avec les yeux émerveillés d’un enfant. Elle a laissé son sentiment de malaise sur le côté, dans un coin de sa tête. Toutes ces vieilles choses, ces témoignages du passé… Ils ont dû en voir, des histoires… Ils ont entendu les complots, ils ont vu des enfants rire, jouer et parfois même pleurer. Ils ont dû écouter les comptines, les réprimandes, voir des déclarations d’amour enfantines, des baisers volés. Elle sourit dans le vide quand elle retrace les brides d’un passé incertain. Elle monte les escaliers sans y penser, son sac sur l’épaule.

Une fois dans la cuisine, elle avance vers le frigo que lui désigne Adrianna tout en l’écoutant. Mais elle perd vite le fil de ses explications en essayant de retenir où et comment accéder aux autres pièces comme la salle de bains ou sa chambre. Elle secoue la tête, abandonne son sac au pied d’un tabouret haut avant de se hisser sur ce dernier.

Alba – Laisse tomber, Adrianna. J’ai un sens de l’orientation incertain, je vais me perdre dans ce labyrinthe. J’ai pris une douche rapidement avant de venir, de toute façon. Histoire de me débarrasser de la poussière et de la peinture. On a gratté aujourd’hui – une nouvelle œuvre que le musée vient d’acquérir. C’est « La danse des Heures » de Bartolozzi. Je vais passer les prochains mois à retoucher ces bonnes femmes.

Elle passe les bras derrière sa tête, remonte ses cheveux en une haute queue de cheval sans forme et noue le tout avec un élastique couleur prune.

Alba – C’est dingue, quand j’y pense. Je me retrouve à refaire le travail des plus grands peintres. C’est ce que je me disais, tout à l’heure, avec mon collègue – tu sais, Pietro. On regardait l’œuvre comme deux adolescents attardés et on se disait qu’au fond, on avait de la chance de toucher ces travaux.

Elle regarde son élève s’activer autour des fourneaux, elle penche sa tête sur le côté en passant ses mains sous ses cuisses, balançant ses jambes dans le vide. Adrianna a l’air concentrée sur ses casseroles, ce qui fait sourire Alba.

Alba – Ça sent drôlement bon, tu sais. Tu dois être un véritable cordon bleu… Moi, je ne m’approche pas souvent de la cuisine. Et quand je m’y approche, je fais des plats faciles. Tu vois le genre, spaghettis, ce genre de trucs… Qu’est-ce que tu mijotes, exactement ? Parce que des fruits de mer, c’est vague.

Elle dodeline de la tête quand Adrianna lui demande si Bartolozzi est un graveur.

Alba – Ouais, à cheval du les dix-huit et dix-neuvièmes siècles. Mais je bosse dessus avec Pietro, puisque de base, nous sommes aussi formés pour ce genre de cas. Ca relève un peu du défi mais on n’est doués, on va le faire. De toute manière, comme on a fini Danaé et que les autres équipes bossent encore leurs œuvres… Nous sommes les seuls disponibles.

Elle détaille Adrianna quand celle-ci vient s’asseoir à côté d’elle. Qu’est-ce qu’il y a ? Elle agit bizarrement. Elle doit être heureuse pour sourire béatement comme ça. Même Alba se contient. Elle balance ses jambes dans le vide, toujours. Ce que ça fait, de vivre à ces époques… L’époque où Venise était immense et colorée, où les marchands étaient riches et les princes encore plus. Belle époque, tout ça. Rien à voir avec ce que Venise devient – et risque de devenir. Elle se mordille la lèvre. Elle se souvient que lorsqu’elle était petite, elle voulait retourner au Moyen-Âge, porter des robes ou bien aller chercher de l’eau à la fontaine. Elle aurait été princesse ou servante, peut-être même mendiante. Toutes les classes de cette vie l’intéressaient. Elle éclate de rire.

Alba – Il faut qu’on arrête de parler de nourriture, je commence vraiment à avoir faim ! C’est ce qui arrive quand la dernière chose qu’on a avalé remonte à… Midi et demi. Tu te rends compte, ça fait…

Elle jette rapidement un coup d’œil à la montre qui orne son poignet gauche.

Alba – … Un peu moins de sept heures que je n’ai pas mangé.

Elle rigole. Adrianna ne perd pas le nord, elle lui parle de la soirée. Alba gigote un peu plus sur son tabouret en regardant ses pieds. Elle pince ses lèvres. Pour au final secouer la tête.

Alba – C’est comme tu veux. Je n’aurais juste plus rien à te raconter après. De toute façon, je suppose qu’il faudra bien que je passe sur le grill à un moment ou un autre…

Elle dodeline de la tête encore une fois. Ça la détresse un peu.

Alba – Il ne s’est pas sauvé en courant. Il m’a remercié plusieurs fois de l’avoir invité à l’inauguration, aussi… Il m’a raccompagné chez moi, aussi !

Elle sourit à ses pieds. Elle sent la rougeur chatouiller son visage, ses joues, son nez. Elle se mordille la lèvre. Est-ce qu’elle doit taire cette information ou… ? Elle suppose que non.

Alba – Et… Il m’a embrassé.

Elle plaque ses mains sur ses lèvres. Comme pour garder cette information pour elle. Pour cacher son sourire d’adolescente.

Elle ne peut pas s’empêcher de sourire comme une idiote derrière ses mains. Allons, qu’est-ce que tu fais ? On dirait une gamine cachée par de longues mèches blondes. Tu te prends pour qui ? L’héroïne d’une comédie romantique à la con ? Elle descend de son tabouret en essayant de ne pas se casser la figure – ce serait toujours bien. Elle va là où Adrianna lui dit d’aller – prendre deux sets de table, deux cuillers. Elle trouve le tout rangé aux endroits que son élève lui indique. Elle garde les yeux baissés, sursaute quand Adrianna abandonne sa louche dans la casserole en criant des « oh mon dieu ! ». Elle a peine le temps d’abandonner le tout sur la table de la cuisine. Qu’est-ce que c’est, de la joie ? Elle ne sait pas mais elle a un peu peur quand elle voit Adrianna revenir, chargeant droit sur elle les bras tendus. Elle ne sait pas pour les autres, mais elle trouve la jeune brune un peu trop câline, ces temps-ci. Elle se laisse faire, se laisse secouer dans tous les sens.

La prochaine fois, elle tiendra sa langue. C’est ce qu’elle se dit quand les questions bombardent ses oreilles. Elle sent son cœur accélérer, elle recule d’un pas en secouant la tête et en détournant le regard pour fuir celui d’Adrianna. Pire que l’Inquisition, ici. Sauvée par le gong, la casserole se met à ronronner, obligeant Adrianna à retourner auprès d’elle. Derrière son dos tourné, Alba fait semblant d’essuyer une sueur invisible sur son front en soufflant.

Alba – Ce n’est pas comme si j’avais réellement le choix. Maintenant que je te l’ai révélé, si je ne continue pas la suite de l’histoire, tu ne me laisseras pas rentrer chez moi, demain. Puis, bon, je suis sûre qu’il y a des cachots, ici.

Elle s’installe à table, regarde l’assiette fumante qu’Adrianna dépose devant elle et attend qu’elle s’asseye. Elle la regarde, attend le feu vert pour commencer. Au lieu de quoi, Adrianna la dévisage en souriant bêtement.

Alba – … Merde. J’espérais que tu aurais oublié en cinq minutes.

Elle entortille sa queue de cheval autour de son point, tire légèrement dessus et regarde sur le côté. Comment lui expliquer ça… Bon, déjà, il faudrait qu’elle arrête de sourire avec cet air idiot. Elle mordille ses lèvres, comme pour se rappeler de ce que ça lui a fait, quand il l’a embrassée.

Alba – En fait, il m’a raccompagné chez moi. Moi, je pensais qu’il allait m’abandonner devant la porte de l’immeuble mais même pas. Il s’est tapé les quatre étages. On n’avait pas vraiment grand-chose à se dire, d’ailleurs. Je me suis sentie nulle toute la soirée. Je l’ai traîné d’un bout à l’autre de la salle, j’ai salué tout le monde mais il ne connaissait personne, le pauvre.

Elle attrape sa cuiller, la plonge dans le liquide blanchâtre et la porte à sa bouche.

Alba – Oh mon dieu, c’est délicieux, Adrianna ! J’adore ! … Ah ouais, tu t’en fous, tu veux la suite. Donc, il me raccompagne chez moi, je suis dos à la porte, prête à l’ouvrir. Et là, je n’ai rien vu venir, il m’embrasse.

Elle rigole nerveusement.

Alba – D’accord, j’étais vraiment heureuse quand je suis rentrée chez moi. Et après, ça a fait effet « gueule de bois ». Je me suis réveillée, j’ai secoué la tête et je me suis raisonnée. J’étais sûre qu’il m’avait embrassé sur un coup de tête, tu vois ? Parce que l’ambiance était propice…

Trop beau. Une histoire d’amour digne du cinéma mais réelle. La bonne blague. Pour avoir regardé des centaines de films romantiques dans son canapé, un coussin contre le ventre et un pot de glace à moitié fondu entre les mains, Alba était quand même en mesure de dire que ce n’était pas ça. Dans sa tête, comme elle se l’imaginait. Elle voyait des papillons, des paillettes. Des trucs à la Blanche-Neige, comme dans « Chantons sous la pluie ». Elle prend le morceau de pain, déchire un peu de la mie et la mordille du bout des lèvres.

Alba – Je ne sais pas. Ce n’est pas comme si nous étions vraiment démonstratifs. On reste sobre, pas de petits cœurs, pas de mots d’amour. Oh, je me fais peut-être des idées, c’est sûrement parce que ce n’est que le début de notre relation.

Elle continue un peu de boire sa soupe, trempant son morceau de baguette dedans. Est-ce qu’elle avait regretté quelque chose ? Elle, non. Enfin, si. Elle avait haï de toutes ses forces son incapacité de réagir au bon moment. Elle s’était maudite d’être une godiche aussi adroite qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. En face de son miroir, elle s’était vraiment haïe, dans sa tête. Elle se demandait ce qui ne tournait pas rond, chez elle. Elle casse ses joues derrière son bol en le portant à ses lèvres.

Alba – … Ne reviens pas sur ce sujet, tu serais un ange.

Elle finit sa soupe d’un coup, comme une affamée de la vie et picore ce qu’il reste de son morceau de pain. Une moue se dessine sur ses lèvres.

Alba – Non, je n’ai rien regretté. Je me suis juste posée des tas de question – tu sais, par rapport à l’ambiance. Et au final, il m’a envoyé un message, il est passé me prendre quand je suis sortie du boulot. On n’en a pas vraiment reparlé, je n’ai pas osé aborder le sujet. Alors je suppose – et ce n’est qu’une supposition, rentre-toi bien ça dans le crâne – que oui, on est ensemble. Peut-être. C’est flou. J’ai besoin qu’on me dise les choses clairement pour les comprendre.

Elle rigole un peu, nerveusement. Puis, la pièce tombe. Quand elle a été le voir. Alba écarquille les yeux.

Alba – Attends, attends… Tu es allée le voir ? Mais… Oh, dis-moi que tu n’as rien fait de gênant…

Elle tortille ses doigts, gigote sur sa chaise. Non, Adrianna n’a certainement rien fait de tout ça. Elle ne doit pas s’être accoudée au comptoir, ne doit pas l’avoir harcelé de questions sur comment et pourquoi. Adrianna n’est pas comme – enfin, si mais avec elle seulement. Elle sait se tenir, elle a été éduquée. Elle doit avoir des limites. Alba mordille sa lèvre. Elle secoue la tête quand Adrianna lui propose un nouveau bol de soupe.

Alba – Non, merci. C’était très bon, je t’assure. Mais si j’en reprends, je suis calée jusqu’à minuit.

Elle lui sourit quand elle sent sa main sur son épaule. Ce qu’elle apprend, ça lui fait plaisir – non, ça la peine un peu d’entendre qu’Adrianna a galéré pour communiquer avec lui – mais au moins, elle n’a rien dit sur elle, ne lui a apparemment rien demandé. Elle ne peut s’empêcher de soupirer de soulagement.

Alba – Je sais que tu l’avais déjà rencontré. Tu me l’as dit. Mais à cette époque-là, tu ne savais pas réellement qui c’était.

Elle triture le bas de son t-shirt, l’enroule et le déroule autour de ses doigts. Elle balance sa tête sur ses épaules, au rythme d’une musique imaginaire. Est-ce qu’elle doit taire son nom ? Non, sans doute pas. De toute façon, Alba, au point où tu en es… Tu en as dit suffisamment pour qu’on t’empêche de revenir sur tes pas.

Alba – … Gíl. Il s’appelle Gíl.

Elle observe Adrianna déguster son second bol de soupe. Puis, elle lève les yeux, pour détailler la cuisine. C’est dingue, une cuisine aussi moderne dans un palais aussi vieux. Elle apprécie le contraste. Peut-être que ce serait un bon compromis avec la F.F.O.V, des bâtiments aux extérieurs anciens mais à l’intérieur nouveau… Enfin, elle dit ça mais si ça se trouve, elle se goure totalement. Elle, elle restaure des tableaux, parfois de petits objets.

Alba – J’ai dit que j’irai l’aider à ranger chez lui. Son appartement a été inondé, quelque chose comme ça. Il a dû quitter son immeuble, le temps que tout soit refait…

Elle tire sur l’élastique dans ses cheveux, secoue ses mèches blondes pour les éparpiller correctement sur ses épaules et sur sa nuque. Elle se mord la lèvre. Allons, Alba. Il te l’a dit lui-même, tu n’as pas à t’inquiéter à propos de ça. Il ne se passe rien entre cette femme et lui. C’est une amie.

Alba – … Et donc, en attendant, il loge chez une femme.

Elle sourit bêtement en repensant à sa voix quand il parle dans sa langue natale. Elle sourit encore plus quand elle repense aux mots qu’il essaie de dire dans un italien boiteux. Au fond, elle aime bien quand il parle. Que ce soit en suédois, en anglais ou même en italien. Elle ne comprend rien au suédois – elle devine les intentions, mais elle sait qu’elle peut se tromper. Elle l’encourage en riant quand il balbutie l’alphabet italien. Mais elle le comprend parfaitement quand il parle anglais. Et elle cache ce sourire idiot derrière la paume de sa main.

Alba – Il est suédois. C’est dingue, quand même, tu ne trouves pas ? J’adore quand il parle dans sa langue…

Elle soupire, regarde Adrianna qui empile les bols dans l’évier. Elle se lève à moitié, pour lui proposer de l’aide mais elle la voit tanguer, se ressaisir. Au fond, toute cette histoire, elle aurait pu la garder pour elle. Elle aurait même dû l’oublier dans le fin fond de sa mémoire, détruire ce nom de femme qui nage dans sa matière grise. Et pourtant, c’était plus fort qu’elle. Elle ne pouvait pas s’empêcher de parler d’elle. Mais qu’est-ce qu’elle sait, sinon rien ? Elle sait que c’est une amie à lui, qu’elle s’appelle Adélaïde. Et après ? Elle secoue la tête en regardant Adrianna se rasseoir en face d’elle.

Alba – Il m’a juré que ce n’était qu’une amie, que je n’avais pas à être jalouse. Je n’en sais pas plus. Mais je veux y croire, qu’il n’y a rien et jamais rien eu entre eux.

Elle secoue la tête, se force à sourire.

Alba – Je ne lui en ai pas reparlé, depuis.

Elle se lève, prend les sets de table et se dirige vers l’évier, histoire de s’occuper. Elle les dépose sur le plan de travail et mouille une éponge, pour passer un coup dessus, évacuer les tâches potentielles et les miettes de leurs morceaux de baguette.

Alba – Je ne veux pas qu’il se lasse déjà ou qu’il se fâche. C’est bon, je ferai avec. Je ne suis pas une mégère, je n’ai pas à être toujours sur son dos, à surveiller ses faits et gestes. C’est un adulte, je suis une adulte. Je peux prendre sur moi.

Elle rigole, pour montrer que tout va bien, qu’elle n’a aucune raison de s’inquiéter.

Alba – Je ne suis même pas sûre de vouloir en apprendre davantage sur son compte. Ce n’est pas comme si ça me regardait.

Adrianna lui parle de mariage, elle hausse un sourcil. Mariage. Alors qu’ils se sont en couple depuis quoi, une semaine à tout casser ? Elle en a des idées, franchement. C’est le romantisme, ça. Alba aussi, elle aime bien rêvasser de cette manière. Mais elle sait se mettre des limites. Pourquoi lui parle-t-elle de mariage… ? Elle roule des yeux.

Elle secoue la tête. Les règles voudraient qu’en tant que petite amie, elle se méfie désormais de toutes les femmes qui minauderont sous son nez. En règle générale, de toutes les femmes. Et pourtant, elle a choisi inconsciemment de lui faire totalement confiance. Quitte à finir aveugle, seule dans un trou. Totalement trompée, vidée. Alors, tant pis. Si cette femme lui veut du mal, elle aura mal. Si cette femme est une folle furieuse, si elle collectionne les photos de lui, tant mieux pour elle. Elle se dit qu’elle ne pourra pas choisir pour lui, de toute manière. Elle ne pourra pas l’obliger à rester. Elle secoue la tête. Elle ne veut rien apprendre sur cette femme.

Alba – Non, c’est bon. Je ne veux rien savoir. Je vais lui faire confiance.

Elle sourit à Adrianna à côté d’elle. Elle s’est défaite de son tablier de cuisine, et de son chignon aussi. Ses boucles brunes tombent sur ses épaules. Décidément, elle est toujours aussi jolie. Quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle mette. Adrianna sera toujours jolie. Alba balance sa tête à droite et à gauche et un sourire apparaît sur son visage.

Alba – Oh mais oui, Adrianna ! Enfilons nos combinaisons de ninjas, prenons jumelles et provisions et fondons-nous dans la nuit noire ! Comme deux supers espionnes… ! On se planque dans un coin, on braque nos jumelles sur une fenêtre et on attend. Mais avant, il faudrait faire une recherche internet, histoire de trouver son adresse.

Elle croise les bras sous sa poitrine, regarde Adrianna en secouant la tête.

Alba – Voyons, pour qui me prends-tu ? Je ne vais espionner ni cette femme, ni Gil. Il faut qu’il sache qu’il peut avoir confiance en moi. Alors je vais le laisser tranquille. Voilà, c’est tout !

Elle pense que maintenant, il serait temps d’orienter la conversation ailleurs que sur Gil et cette femme. Heureusement, c’est Adrianna qui lui tend la perche, encore. Elle lui sourit en ramassant le sac qu’elle a laissé traîner près du tabouret de tout à l’heure.

Alba – On revient sur notre plan de base. Tu voulais me bichonner.

Elle répond par une moue quand elle lui dit de ne pas le prendre mal. Elle secoue la tête. Elle ne l’a pas mal pris, elle cherchait juste à rompre le sujet. La brune tape dans ses mains en se levant, se dirige vers le couloir en lui expliquant qu’elles iront s’installer dans sa chambre. Bien sûr. Qu’est-ce qu’une soirée pyjama sans pyjama, polochons et un lit ? Qu’est-ce qu’une soirée pyjama sans ce gros cliché, inculqué par les séries télévisées américaines ? Les filles tellement sublimes, de véritables mannequins, qui rient aux larmes sur des lits énormes, dans des chambres dignes des catalogues ou des images sur Tumblr. Dans des chambres énormes, qui font envie. Elle se demande si la chambre d’Adrianna sera une chambre type. Elle l’imagine énorme – en même temps, quand on regarde le palais… Elle l’imagine blanche ou crème, avec des touches d’or. Un grand lit blanc, à baldaquin ou juste à colonnes.

Elle suit Adrianna dans les longs couloirs, le nez en l’air pour regarder les peintures. Elle les regarde les peintures, les moulures, la décoration en général. Le tapis, les dorures. Elle aime beaucoup ce qu’elle voit dans ce palais, le sentiment de grandeur, ce sentiment de malaise s’est totalement dissipé. Elle n’entend plus les pas d’Adrianna sur le tapis, alors elle lève les yeux. Elle se tient là, devant une peinture, et elle la remet droite. Elle hausse un sourcil. Une sale manie, ça. Mais parfois, c’est bien utile.

Alba – Elles sont magnifiques, tes peintures. J’aime beaucoup les couleurs utilisées pour mettre en valeur les visages ou même les détails des paysages.

Elle replace quelques mèches derrière son oreille. Gil aussi aime la peinture. Et elle, elle aimait ses yeux quand ils brillaient devant les tableaux. Oh mais à quoi tu penses, Alba. Elle se mord la langue pour s’obliger à penser à autre chose. Est-ce que ce serait si mal de devenir complètement accro à un homme ? Ouais, sans doute. Adrianna lui demande si elle veut voir ce qu’elle a restauré dernièrement.

Alba – Mais bien sûr, montre-moi !

Elle lui sourit, vraiment enthousiaste. Plus enthousiaste que n’importe qui. Mais le poids de son sac pèse sur son épaule. Elle le désigne à Adrianna.

Alba – On peut juste faire un crochet par ta chambre, histoire que j’abandonne mon sac ? Non parce qu’il va me déboîter l’épaule et j’en ai besoin lundi, de mon épaule…

Elle, ça ne la changeait pas du tout de l’habitude. Ce genre de paysages, de visages, de scènes, elle en voyait tous les jours au musée. Mais là, elle n’était pas dans un musée – pas encore, du moins. Elle est dans une maison, c’est encore plus impressionnant. Elle observe les visages, les semblants de pudeur de la part des Vénus, les sourires espiègles des Cupidon, accrochés aux jupes de sa mère. Elle regarde toutes ces scènes. Elle pensait encore comme une restauratrice. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Et si elle ne pensait pas comme une restauratrice, elle pensait comme une artiste alors, dans les deux cas, elle ne pensait pas comme un quidam sans lien avec la peinture devant une œuvre.

Elle suit Adrianna jusqu’à sa chambre et elle écarquille les yeux. D’accord, ce n’est pas crème et or mais rouge et or. Bah ! C’était sa deuxième option sur la liste des suppositions. Elle s’obliger à fermer la bouche quand elle détaille le tout. D’accord. En plus, c’est bourré de passage secret. Et on osera encore lui affirmer qu’il n’y a pas de geôle ici ? Une salle de bains personnelle, cachée derrière une bibliothèque. Un dressing au milieu de la fresque murale. Hé ouais. Elle secoue la tête – c’est bon, elle ne va pas aller fouiller dans les vêtements des autres, non plus.

Alba – Hé bien, dis donc ! C’est la grande, grande, grande classe. Je pense que je n’ai pas mis assez de « grande » dans ma phrase.

Elle dépose son sac sur le sofa, au pied du lit, et s’autorise un bref moment d’égarement. Elle bat des mains en tournant sur elle-même tout en riant comme une enfant. Elle se reprend bien vite, gardant son sourire espiègle sur le visage. Adrianna vient de lui rappeler qu’elle avait une robe de la renaissance à lui montrer. Elle suit Adrianna dans les couloirs, jusqu’à la troisième porte. Cette fois, sa mâchoire tombe sans qu’elle ne cherche à la rattraper.

Alba – Oh mon dieu, Adrianna. Cette robe… Ta robe… Elle est sublime !

Elle dépasse son élève pour aller détailler la robe de plus près. Les broderies, les tissus. Tout est absolument magnifique. Elle fait le tour de l’œuvre en l’examinant et finit par se redresser en souriant.

Alba – Je dois bien t’avouer que moi et la couture, ça fait deux. Je serai incapable de coudre un bouton correctement sans qu’il ne cède au bout d’une semaine, alors ce genre de travail…

Elle secoue la tête en riant.

Alba – Je suis nettement plus à l’aise avec la peinture, cela va sans dire.

En règle générale, personne n’abandonne une aiguille dans les mains d’Alba. Non pas qu’elle soit réellement dangereuse pour les autres. On va dire qu’elle l’est pour elle-même. Elle se pique les doigts, met du sang partout sur le tissu. Parfois – dans les cas extrêmes – elle envoie bouler sa patience d’ange pour s’acharner corps et âme sur le bouton à recoudre. Ce cas-là n’est pas beau à voir. Elle s’en arracherait presque les cheveux, quand elle s’énerve ainsi. Adrianna lui propose des leçons de couture. En même temps, Alba, le foyer, la vie de famille, elle n’y avait jamais vraiment pensé. Elle ne s’imaginait pas avec des enfants – comme elle ne s’imaginait déjà pas en couple. Elle se voyait mal reprisant des chaussettes trouées – celles-là, elle avait tendance à les jeter quand les trous devenaient énormes. La cuisine, elle n’essayait pas vraiment, elle faisait des trucs basiques, pas trop compliqués, qui ne demandaient pas cinq heures de préparation. Elle hoche la tête.

Alba – Ça marche ! En compensation des cours d’anglais et de restauration !

Elle refait un tour de la robe dans sa vitrine, s’approche de l’ouverture pour regarder les couleurs. Oh, c’est vraiment beau. Vraiment, vraiment. Elle écoute Adrianna déblatérer sur l’origine probable de cette robe, elle en sourit davantage.

Alba – Peur, non. Mais c’est impressionnant. Cette robe a traversé les âges et toi, tu lui as rendu un coup de neuf, comme ça. Pof !

Adrianna lui annonce, en riant, qu’elle a à faire avec la première pièce d’un musée. De son musée, celui dont elle lui a parlé, la dernière fois. Quand elle lui disait que l’argent, ce n’était aucunement un problème pour elle. Quand elle cherchait un cadeau pour l’homme qu’elle aimait. C’est qu’elle l’avait presque oublié, celui-là. Alba se redresse, pose les poings sur ses hanches.

Alba – Mais dis donc, toi. Tu m’as cuisiné tout le repas durant mais tu te faisais toute petite.

Elle balance sa tête sur ses épaules, en souriant.

Alba – Maintenant que je t’ai dit absolument tout ce que j’avais à te dire… C’est à ton tour ! Tu as finalement trouvé un cadeau pour ton quarantenaire ?

Elle attrape le bras d’Adrianna, tire dessus en souriant.

Alba – J’ai une idée. On commence cette soirée pyjama et toi, tu vas tout me raconter. Si tu omets le moindre détail, je te parlerai en anglais pour le restant de ta vie et tu n’entendras plus jamais le nom « Gil » franchir mes lèvres !

Et elle rigole. Décidément, la soupe de palourdes, ça lui réussit plutôt bien.

C’est comme si on lui avait balancé du gaz euphorisant dans la figure. Elle avait envie de rire jusqu’à en perdre la voix, rire jusqu’à tousser et avoir mal à la gorge. Pour une fois que ça lui arrive, on ne va pas la blâmer, lui lancer des pierres dans la face. Elle secoue la tête en riant de plus belle.

Alba – Tu racontes n’importe quoi, je ne chantonne pas quand je parle de lui…

En fait, c’est fort probable mais elle ne pourrait pas l’affirmer. Elle, elle ne fait aucune différence entre sa voix de tous les jours et la voix qu’elle prend pour parler de Gil. Elle regarde Adrianna fermer la vitrine, cacher la clef dans les tentures. Bah, elle s’en moque de l’endroit où elle cache la clef, ce n’est pas comme si elle allait venir voler la robe. Et quand même si elle la volait, qu’en ferait-elle ? Où la planquerait-elle ? Alba ferait une mauvaise voleuse. Elle hausse les épaules, se laisse entraîner par Adrianna – vers sa chambre, sans doute. Elle l’écoute lui parler de sa visite chez Gil, de sa rencontre avec un couturier. Elle absorbe tous les détails que la brune lui envoie dans les oreilles, les case dans un coin de sa mémoire. Un jour, à force d’amasser des détails, ton cerveau explosera. Un costume sur mesure. Des boutons de manchette. Elle passe une main de ses cheveux, assise sur le lit d’Adrianna.

Alba – Je ne sais pas. Si tu vivais dans la classe moyenne, que tu avais des problèmes d’argent, je pense que je n’accepterai pas – pourquoi te priver pour me gâter ?

Elle observe le plafond en réfléchissant, retire d’un geste discret des pieds ses chaussures et les lance doucement à l’autre bout de la pièce.

Alba – Tu l’as dit toi-même, tu n’as pas de problème d’argent – je n’en doute plus du tout. Après, tout dépend du caractère. Peut-être qu’il n’acceptera pas facilement – il y en a, comme ça, qui pensent que c’est aux hommes d’apporter les cadeaux et non à la femme.

Elle ne veut aucunement l’inquiéter, la traumatiser ou bien briser ses rêves. Mais il y en a qui diraient non facilement. Les susceptibles verraient le mal partout. Un costume ? Tu trouves que je m’habille mal ? Je n’avais pas besoin que tu me fasses un cadeau, je n’ai rien demandé. Bla, bla, bla. Elle tapote le genou d’Adrianna en souriant.

Alba – Je suis sûre qu’il sera content.