— please don't say you love me - ALBA [TERMINÉ]

Il fait plus froid que tout à l’heure, c’est sûr. Elle ne regrette pas d’avoir osé porter des manches trois quarts. Qu’elles soient en dentelle n’aidaient pas à la réchauffer mais ça y participait quand même un peu. Elle n’avait plus les pensées claires. Elle s’était fait attraper deux fois par un serveur – par le même serveur. Elle avait plus envie de rire qu’autre chose. En sortant du musée, Gil lui avait proposé de la raccompagner, elle avait hoché la tête. D’accord. Elle l’avait regardé dénouer sa cravate, cette même cravate qu’elle avait arrangé tout à l’heure et elle avait souri.

Elle se retrouve maintenant dans Venise, en pleine nuit, à essayant de caler le rythme de ses pas sur les siens. Elle essaie de ne pas réfléchir à sa démarche. Au pire, si elle se prend les pieds dans une dalle trop relevée, elle pourra toujours faire ce qu’Adrianna lui a suggéré de faire. Lui tomber dessus. Peut-être même qu’il la laissera s’emparer de son bras. Mais elle n’y compte plus de trop. Elle hausse les épaules quand il lui parle de l’inauguration.

Alba – Ils se surpassent toujours pour ce genre de choses. En même temps, ils chassent les donateurs, ceux qui sont prêts à sortir leur carnet de chèques. Alors si la soirée n’est pas à la hauteur, la caisse à chèques est vide et ils nous tapent sur les doigts.

Elle secoue la tête, sourit.

Alba – Moi, je n’ai qu’une hâte. Retirer ces chaussures, d’abord. Puis, cette robe. Mais ce sont surtout les chaussures qui dérangent, la robe, on s’y fait au bout d’un moment.

Au bout d’un moment. Quand on a compris que non, on n’a pas les fesses à l’air, que personne ne peut voir les sous-vêtements qu’on porte.

Alba – … Un jour, je ferai une inauguration en jeans.

Ouais, bon. Elle n’aurait peut-être pas dû dire qu’elle ne pensait qu’à ôter cette robe devant Gil. Non pas qu’elle voulait se défaire de sa robe devant lui, ce n’est pas ce qu’elle a voulu dire… Penser… Un truc du genre. Oh mais qu’est-ce que tu racontes, encore ? Elle secoue la tête pour se défaire de ces idées et lève le nez en l’air. C’est tranquille, il y a moins de monde la nuit. En même temps, une fois que les touristes ont regagné leurs hôtels, il n’y a plus que des chats dans les rues. Elle resserre ses bras autour d’elle mais quelque chose l’interrompt. La veste de Gil, sur ses épaules. Elle tourne la tête vers lui, fronce les sourcils, ouvre la bouche pour lui demander s’il est sûr mais elle se ravise. Même si ce n’était pas le cas, il lui dirait que oui.

Alba – En appartement. Au quatrième étage d’un immeuble.

Elle rigole parce qu’à chaque fois qu’elle voit les escaliers, elle est obligée de se dire que c’est bon pour ses fesses, toutes ces marches à avaler. Elle tourne la tête vers lui.

Alba – J’habite en colocation. J’ai passé l’annonce en louant l’appartement. C’est plus simple pour le loyer. Puisqu’il y a moins à payer, je peux acheter plus de peinture et de toiles.

Elle hausse les épaules, resserre la veste contre elle et dégage ses cheveux de l’emprise du col. Elle sent l’odeur de Gil. Elle se demande si c’est son parfum ou son odeur naturelle. Dans les deux cas, elle aime bien.

Alba – Puis, je pense que je serais devenue folle toute seule.

Comme ça. Une intuition.

Alba – On ne devrait plus être très loin, d’ailleurs.

Ils n’étaient effectivement plus très loin. Quelques pas à peine. Elle s’attendait à ce que Gil s’arrête en bas de l’immeuble, à cette porte-là. Elle était prête à le quitter dans la rue – parce qu’elle n’avait pas d’autres moyens pour continuer à rester à ses côtés. Mais lui, il en avait trouvé un, de moyen. Il l’avait suivi jusqu’en haut et les escaliers lui avaient paru moins fatigants. Elle se défait de sa veste, la lui tend. Elle n’a pas grand-chose à lui dire de plus. Elle gigote un peu, bascule d’avant en arrière sur ses talons – seule chose qu’elle maîtrise sur ces engins du Diable. Elle suppose qu’elle doit lui dire au revoir, maintenant. Et rentrer chez elle. Oh, c’est intenable, cette situation. Qu’est-ce que tu peux bien faire d’autre, de toute manière ? Elle cherche la poignée dans son dos.

Sauf que là, tu vois, il t’embrasse. Comme c’est romantique. On se croirait dans une émission américaine, une de ces séries où les filles sont toutes jolies et parfaites, où elles se font embrasser sur le pas de leur porte. D’instinct, elle ferme les yeux. C’est bizarre. Ce n’est pas comme la première fois. Ce n’est pas pareil. C’est lui qui rompt le baiser. Comme c’est lui qui l’a commencé. Elle ne sait pas comment elle doit réagir à ça. Elle ne sait pas comment elle peut réagir à ça. Oh et quand Adrianna apprendra ça… Elle secoue la tête, se met à rire bêtement, les yeux au sol.

Alba – … Je n’avais pas prévu ça.

Elle se mord la lèvre inférieure, redresse la tête.

Alba – Mais ça ne me dérange pas. Pas du tout.

Elle appuie sur la poignée de sa porte, elle voit de la lumière qui se dessine sur le sol. Aline ne dort donc pas encore. Elle sourit une dernière fois.

Alba – Au revoir. Et merci, pour ce soir.

Elle rentre dans son appartement, ferme la porte dans son dos. Elle plaque une main sur sa bouche, autant pour cacher son sourire de grande gamine que pour s’empêcher de couiner de bonheur. Alba, il faudra que tu te calmes.