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Lumières | Fevrier 125 (Raleigh)
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« PELAGIA »
MESSAGES : 290 POINTS : 3161 PRÉSENTATION : HiéroglypheFICHE DE LIENS : Livre des MortsAUTRES COMPTES : Aucun DATE D'INSCRIPTION : 20/10/2015
| Sujet: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 19.01.16 17:57 par Eirlys S. Hilbilge | Citer Editer Supprimer |
| Les jumeaux Hilbilges n’avaient pas été fusionnels juste parce qu’ils avaient partagé la même date de naissance pendant une trentaine d’années, ils avaient également un esprit commun, le même besoin de savoir, de comprendre, de juger, de jauger. Ils avaient besoin de contrôler ceux qui étaient autour d’eux. Y compris l’autre ce qui avait donné lieu, surtout à leur adolescence, à des joutes verbales animées qu’Eirlys n’avait pas toujours gagnées. Son frère avait été une énigme mais une énigme familière. A présent, elle était face à une autre énigme, une qui lui était tombée dessus comme ça, comme un immense trou. Avoir des trous qui vous tombent dessus n’avait pas fait parti de l’éducation de la jeune femme. C’était une indignation qu’elle ressentait au fond d’elle et qui faisaient briller ses yeux gris d’une lueur plus sombre encore. Et pourtant, elle restait perplexe. D’autant plus que l’expérience, comme prévu, se révélait être un échec et qu’il allait falloir prendre des décisions. Elle allait devoir comprendre Monsieur Wells, entrer dans son monde à la fois tentateur et mortel. Elle allait devoir aller au delà. Ou abandonner l’idée d’utiliser le potentiel du philosophe, pour le bien de Magnus. Fallait-il abandonner ? Mais l’abandon n’avait jamais été son truc, même face à Seisyll et aux échecs elle attendait l’inévitable Echec et Mat. Habillée de rouille et d’ocre, la jeune femme pris une profonde inspiration et passa la porte de Corb, l’Entreprise Divinité, duale comme l’était souvent Escalus, soignant d’un côté, enfermant de l’autre les âmes perdues dans les vapeurs de l’essence. Il y avait un médecin là-bas, un nommé Docteur Cohen dont les méthodes étaient doucement critiquées mais qui semblait capable de penser à l’extérieur des choses. Peut-être avait-il la lumière pour percer les ténèbres. Peut-être pas. Mais elle aurait tenté et si elle pouvait avoir un début de commencement de réponse, ça serait déjà une piste. Elle s’approcha tranquillement de l’accueil. « J’ai rendez-vous avec le Docteur Cohen. » On lui posa des questions pour vérifier son identité, confirmer le rendez-vous puis lui indiqua la route et la marche à suivre. Habituée à l’administration, elle se laissa tranquillement guider de bureau en bureau, répétant les mêmes réponses aux mêmes questions pour arriver, à l’heure, dans la salle d’attente. Elle s’assit. Elle avait donné un faux prétexte pour cette consultation. Une fatigue inexpliquée, renforcée par ses joues pâles et l’éclat terne de ses pupilles d’un gris tellement froncé qu’elles apparaissaient noires. De fait, elle était fatiguée. Depuis la mort de son frère, rien n’avait vraiment la même saveur. Et il y avait cette colère en elle, derrière la fatigue qui ne demandait qu’à exploser et qu’elle ne contenait qu’à force d’éducation. Trop de pression, se disait-elle à elle-même. Rien de grave. Remplacer son jumeau n’était chose aisée. Elle n’avait ni sa force, ni l’affûtage de son esprit. Elle était différente. Empirique. Elle secoua la tête. Elle n’était pas là pour elle. Elle était là pour savoir quoi faire de Joshua Wells. Esprit inefficace, homme emprisonné par cette même Essence que Corb produisait, source tarie, qui ne voulait même pas essayer de s’entourer d’illusions. Une porte s’ouvrit. Elle se leva. « Docteur Cohen ? » |
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« PELAGIA »
| Sujet: Re: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 20.01.16 18:46 par Raleigh Cohen | Citer Editer Supprimer |
| Raleigh avait oublié de se lever à l’heure. Plongé dès le début de la soirée dans ses livres, qui dérangeaient si bien les bonnes œuvres de Pelagia, il n’avait pas cru bon de regarder sa montre de temps en temps, et s’était finalement endormi sur un tas de notes aux dernières heures de la nuit. Ce fut l’inconfort de la position qui le tira du sommeil, et le constat de l’heure, trop avancée pour être honnête, qui acheva de le réveiller. Il avait abandonné ses livres, ses notes, et s’était préparé à la hâte pour une nouvelle journée de consultations routinières à la clinique de Corb. Il allait forcément arriver en retard, c’était hautement prévisible. Sans compter qu’il se présenterait à ses patients avec l’air de quelqu’un qui n’a pas connu de nuit de plus de six heures depuis un peu trop longtemps pour ne serait-ce qu’avoir envie de nier les faits. Raleigh ne les niait pas, de toute façon, la faculté de médecine l’avait formé à pouvoir rester éveillé de longues heures juste pour finir de réviser un examen. Il avait pris l’habitude, même si elle n’était pas la meilleure.
Par chance, il n’était pas suffisamment en retard pour rater son premier rendez-vous de la journée. Le seul problème était qu’il n’était pas non plus arrivé suffisamment en avance pour pouvoir demander les détails habituels à la secrétaire, prendre la fiche des rendez-vous et préparer le cabinet. Il avait son manteau sur le bras en arrivant à la clinique et passa en coup de vent au secrétariat, salua la secrétaire, écopant par la même occasion d’un regard réprobateur agrémenté d’un « non mais vous alors » esquissé sur des lèvres silencieuses, et attrapa la fameuse feuille qui lui permettrait de savoir qui il allait devoir supporter aujourd’hui. Machinalement, Raleigh lut les noms tout en se dirigeant vers son cabinet. Le premier ne lui disait absolument rien. Il ne l’avait jamais croisé, jamais entendu, ça, il en était certain, bien qu’il n’ait absolument pas la mémoire des noms. Les autres, ils les connaissaient, et ils connaissaient aussi les visages.
Aussi, pour ne pas perdre de temps, en arrivant devant la salle d’attente, Raleigh se dirigea directement vers le visage qui lui était le plus inconnu. Visiblement, la jeune femme l’attendait puisqu’elle se leva, au moment où une porte s’ouvrait non loin. Il la regarda dans les yeux et hocha la tête.
« Oui, suivez-moi. »
Il lui adressa un léger signe de tête et ouvrit la porte de son propre cabinet, lui intimant de s’installer, la laissant en accrochant son manteau à la patère qui était derrière la porte, le troquant contre sa blouse de médecin, allant vers le petit bureau en rajustant le col, dénichant la paperasse nécessaire à un premier rendez-vous, un peu à la va-vite. Il eut un léger sourire.
« Excusez-moi, panne de réveil. »
Il s’installa au bureau.
« Qu’est-ce qui vous amène ? » |
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« PELAGIA »
MESSAGES : 290 POINTS : 3161 PRÉSENTATION : HiéroglypheFICHE DE LIENS : Livre des MortsAUTRES COMPTES : Aucun DATE D'INSCRIPTION : 20/10/2015
| Sujet: Re: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 10.02.16 11:02 par Eirlys S. Hilbilge | Citer Editer Supprimer |
| Le médecin avait encore son manteau et l’air éparpillé de ceux qui se sont réveillés trop vites. Ses cernes sous son teint pâle rappelait en filigrane celui pour lequel elle consultait. Peut-être était-ce un phénomène de société. Peut-être que les hommes de Pélagia ne dormaient plus, comme attrapés par le monde sans vraie jour ni vraie nuit qui régnait au fond des océans. Peut-être aussi que les hommes de Pélagia devenaient doucement fous. Ou que l’essence qui coulait chez Corb avait également contaminé les employés. De son regard gris sombre qui ne cillait pas, Eirlys jaugea l’inconnu devant lui, à la recherche consciente de signe d’accoutumance. Elle ne vit rien, retint un soupir et le suivi calmement jusqu’à son bureau., le regardant poser son manteau et enfiler une blouse, espérant qu’il enfile en même temps le professionnalisme qu’elle espérait trouver derrière cette apparence d’original. Toujours debout, elle le regarda s’asseoir, prendre de quoi écrire et commencer ses questions. Il ne lui avait pas proposé de chaise. Qu’à cela ne tienne. Elle s’assit quand même, lissant sa jupe, ses mains sagement posées sur ses genoux.
« Bonjour Docteur. J’aurais besoin de conseils, pour un... » un quoi, Joshua n’était pas un ami, à peine une connaissance. Elle ne pouvait pas non plus le qualifier d’employé, ce serait rompre le secret professionnel et exposer Magnus, c’était donc hors de question. Il n’était pas un camarade non plus, tout juste était-il un philosophe mais ça, c’était si on partait du principe qu’elle comprenait ce qu’elle lisait. Or elle n’était pas sûre de saisir toutes les implications du nihilisme. Elle avait intégré le principe de base, la négation du soi qui n’était pas si loin de ce qu’elle faisait quand elle s’oubliait pour plaire à son père, reprendre la place de son frère, se glisser dans le moule de la société pour protéger sa mère, mais l’auto-destruction sous-jacente lui paraissait trop belle, trop tentante, trop facile. Elle se reprit, fixant le docteur.
« Pour une connaissance, disons. Il s’agit d’un jeune homme d’une trentaine d’année qui nous inquiète beaucoup. Son sommeil est au mieux aléatoire, il porte des cernes qui ne sont pas sans rappeler les votre, son comportement met en danger son travail, il a des problèmes d’attention, de communication, de socialisation et se retrouve incapable d’effectuer des tâches qui ne lui posaient auparavant aucun problème. »
Evidemment, elle n’avait pas trouvé le moyen de l’obliger à consulter, elle n’avait pas abordé ses suspicions concernant la prise d’Essence (elle ne connaissait pas l’opinion du Docteur à ce sujet et préférait essayer de ne pas l’antagoniser tout de suite même si son ton détaché et précis n’était pas forcément fait pour plaire et ne laissait passer aucune inquiétude palpable), elle n’avait pas non plus sollicité un avis psy même si elle s’était surtout focalisé sur les symptômes intellectuels. Protégée derrière un pluriel, la jeune femme n’avait pas déposé son masque de parfait produit de la Société. Elle attendait d’en savoir plus. Sur ce médecin inconnu et pas forcément engageant. Et sur ce qu’elle était vraiment venue faire ici, aussi.
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| Sujet: Re: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 13.02.16 22:55 par Raleigh Cohen | Citer Editer Supprimer |
| Raleigh écouta la jeune femme parler, sans rien dire, mais dans sa tête, les mots s’agitaient. Il allait devoir lui faire comprendre, en douceur, avec le plus de délicatesse possible, qu’il n’était habilité à ne s’occuper que des gens qu’il avait en face de lui au cabinet, et qu’il ne faisait, malheureusement, pas encore dans la consultation à distance. Machinalement, il joignit les mains, les tapota contre le bois du bureau et se mordilla l’intérieur de la lèvre. Et autre chose le titillait. Quand on vient chez le médecin, en général, c’est pour soi-même, en dehors des parents qui amènent leur enfant trop jeune pour pouvoir faire ça de lui-même ou payer les médicaments de la pharmacie. La requête de la jeune femme était tout ce qu’il y avait de plus singulier et de plus étrange. Et puis finalement, quand elle eut fini de parler, Raleigh laissa un instant de silence s’installer au sein du cabinet, le laissa flotter dans l’air avant de regarder cette inconnue droit dans les yeux.
« Ce que je vais vous dire va peut-être vous sembler abrupt, voire complètement indélicat, mais je ne peux malheureusement pas m’occuper de gens qui ne viennent pas au cabinet. Je ne peux tout simplement pas faire une consultation sur la simple base de ce que vous me dites, et à moins que cette personne ne décide elle-même de venir ici pour un examen, je ne peux rien faire. »
Ses mains se séparèrent et il eut un mouvement machinal de l’une d’elle, paume vers le ciel, comme désignant, dans le vide, les choix possibles qui s’offraient à celle qui allait, normalement, devenir sa patiente du moment avant de repartir chez elle, avec ou sans ordonnance.
« Je ne sais pas pourquoi vous venez ici, mais je suis censé l’apprendre d’une manière ou d’une autre, parce que mon métier est de soigner. Mais d’après ce que vous me dites, j’en déduis que vous avez entendu parler de ce que… les bonnes œuvres appelleraient plutôt un “passe-temps”. Mais là non plus, je ne peux rien faire tant que la personne que vous m’avez désignée ne vient pas d'elle-même »
Raleigh sourit légèrement. Ce n’était inconnu de personne qu’il avait un grand intérêt pour l’esprit humain et avançait à contre-courant de ce que la société de Pelagia pensait. Pour elle, l’esprit était une boîte noire, scellée et inviolable que rien ne pouvait atteindre, pas même la plus grande des douleurs. Pour ce qui était de la médecine physique, la cité sous-marine excellait dans bien des domaines. Pour ce qui était du reste, elle avait de lourdes lacunes à combler. Raleigh était conscient : il ne ferait jamais tout le travail seul, mais s’il pouvait déjà poser la pierre angulaire qui servirait à la construction du reste, il était prêt à y laisser, plus ou moins, sa vie. Pelagia ne pourrait de toute façon pas nier, à un moment ou à un autre, que son travail avait été utile. Il allait tout particulièrement insister sur le mot travail, d’ailleurs.
« Donc, en attendant que votre connaissance ne veuille consulter un médecin, j’aimerais que l’on se concentre plus sur vous. Je me doute que vous êtes venue pour quelque chose qui vous concerne, autrement vous n’auriez pas fait tout le déplacement pour quelqu’un qui ne vous est pas proche, je me trompe ? »
Probablement pas. L’expérience lui avait appris qu’on ne déplace souvent des masses énormes que pour les personnes qui sont dans notre cercle privé. Les liens affectifs et leurs mystères.
« Quoi que ce soit, vous pouvez m’en parler ici. Rien ne sortira de cette pièce, je puis vous le garantir. » |
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| Sujet: Re: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 21.07.16 14:51 par Eirlys S. Hilbilge | Citer Editer Supprimer |
| « Il ne voudra pas. » Son ton était toujours aussi détaché, froid, clinique. « Il ne se considère pas comme assez importante pour valoir des soins ou je ne sais quel autre non-sens. Cependant, se pose la question de la responsabilité. Si je sais que quelqu’un se met en danger et que je ne fais rien pour l’en empêcher, est-ce que je ne deviens pas complice, quelque part, de cette destruction qu’elle soit auto-infligée ou non ? »
C’étaient les vrais moteurs officiels de sa démarche, la peur, ou tout du moins l’inquiétude que les actes de Joshua retombent en partie ou en totalité sur sa tête ou celle de Magnus ; Parce que s’il n’y avait aucun doute sur la capacité de l’entreprise à récupérer même d’un coup de pub désastreux, elle n’était pas certaine de ne pas être sacrifiée sur l’autel des blâmes à distribuer. Or une Hilbilge ne pouvait donner prise à des reproches ou de la critique, c’était tout bonnement inconcevable Comprenant cependant que c’était sans appel, et probablement pas uniquement dû à la mauvaise volonté du médecin mais bien à de vraies raisons médicales qui dépassaient ses propres connaissance, la jeune femme se permit un soupir suivi d’un croisement de jambe. Par réflexe, toujours, elle lissa sa jupe sur sa cuisse, veillant à ce que le mouvement soudain n’ait en rien dérangé le tissu et surtout ne révèle rien qui pourrait être interprété comme indécent. Elle réfléchit.
« Non, vraiment docteur, je suis venu pour lui. Je suppose que je me sens responsable puisqu’il s’est plus ou moins ouvert de son mal-être devant moi et qu’il n’est pas concevable que je laisse passer quelque chose d’aussi inquiétant sans faire mon possible pour éviter une catastrophe. Je suppose que mon choix de mot peut vous faire sourire mais vous devez comprendre, Docteur, que je n’exagère en rien. Je ne sais pas ce que je suis supposée faire avec lui, de lui, si je dois le secouer et le mettre au travail, si sa condition demande des aménagements particuliers, s’il faut le laisser se reposer ou si, au contraire, l’activité est la clef pour remettre son corps d’aplomb. J’ai cru comprendre qu’il utilisait les essences pour palier à la fois au manque de sommeil et son incapacité à dormir mais, vraiment, est-ce raisonnable de prendre ces produits sans supervision ? »
Derrière son masque de poupée calme, l’on pouvait sentir la passion commencer à l’animer un peu. Il était important voire impératif qu’elle trouve une solution et qu’elle comprenne comment gérer le nihilisme de Joshua Wells. Dans le cas contraire, elle serait contrainte de le licencier et, bien que ce ne soit pas ça qui la fasse reculer d’habitude, elle ne voulait pas. Elle le vivrait comme une défaite. Une de plus, alors qu’elle avait si désespérément besoin de victoires pour conforter la position un peu branlante devant laquelle elle se trouvait ; Elle soupira une nouvelle fois, allongeant ses jambes sous la table.
« Mais puisque vous ne pouvez pas m’aider sans le voir, je suppose que je n’ai pas d’autres choix. » En réalité, elle en avait plusieurs ; Elle pouvait insister – mais elle le faisait déjà – parler d’elle – ce qui était fondamentalement hors de question – ou encore essayer de glaner des informations par la bande, ce qui n’était pas totalement correct mais se justifiait si on arrivait à un résultat.
« Parlons de moi, puisqu’il faut en passer par là. On m’a soumis récemment à l’étude une nouvelle philosophie que peut-être avez-vous étudiée à l’occasion de vos loisirs. Le Nihilsme. Je ne suis pas certaine d’avoir tout compris, peut-être pourriez-vous éclairer ma lanterne et m’en expliquer les tenants et les aboutissants ? »
Après tout, tant qu’elle payait et qu’elle avait rendez-vous, le temps du praticien lui appartenait, ce n’était que justice. Fatiguée, elle réprima un troisième soupir.
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« PELAGIA »
| Sujet: Re: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 21.07.16 17:38 par Raleigh Cohen | Citer Editer Supprimer |
| Réprimant un soupir, Raleigh fit au moins mine d’écouter. Distrait. Le cas d’une personne qu’il ne pouvait pas avoir en face de lui et qui, d’après les dires de la jeune femme, n’était toujours pas prêt à vouloir voir un médecin, lui semblait bien lointain et bien peu digne d’intérêt. Il ne pouvait rien faire tant que l’intéressé ne se présentait pas lui-même au cabinet, ce que la personne en face de lui semblait oublier, puisqu’elle continuait son monologue sur ce patient mystère. Qu’elle soit vraiment venue pour lui, le médecin ne pouvait rien y faire, pas plus qu’il ne pouvait l’aider à distance. Sans bouger, les mains sagement jointes sur le buvard du bureau en bois, Raleigh ne prononça aucun mot, ni ne coupa la parole à la jeune femme aux cheveux noirs, tout le temps qu’elle parla. Il ne l’écoutait qu’à moitié, mais suffisamment pour capter ce qui l’intéressait et reconstruire les phrases. Suffisamment pour comprendre ce dont il était question et ne pas répondre à côté, exposant ainsi sa distraction plus que volontaire.
S’il voulait être honnête, Raleigh pouvait dire qu’elle lui faisait perdre son temps. Elle n’était pas la seule personne qu’il devait voir aujourd’hui. Et certains venaient pour des problèmes plus sérieux et qu’il pouvait directement traiter puisque la personne concernée se présentait. Quand il fut sûr qu’elle avait fini, Raleigh laissa quand même un petit silence se prolonger. Une sorte de pause. Le temps de réfléchir à ce qu’il allait lui dire, notamment.
« Je vais être franc avec vous. »
Nouveau petit silence, et finalement, il se fendit d’un soupir. La situation ne l’enchantait pas, surtout pas pour commencer la journée.
« Que vous soyez vraiment venue pour lui ou pas ne changera pas ma décision. Je ne peux rien faire tant qu’il ne se présente pas de lui-même à la clinique. C’est comme ça, c’est tout. Je ne soigne pas les gens à distance. Quand on vient me voir, ce n’est pas pour que je m’occupe de la personne d’à côté. Quant à votre question sur la non-assistance à personne en danger, que je sache, il n’est pas à l’heure qu’il est en train de pointer une arme sur sa tête ? Non. De plus, vous avez fait des démarches. Mais tant que lui ne viendra pas me voir, je suis aussi impuissant que vous. »
Pourquoi les gens ne comprenaient jamais les détours habiles et polis des tournures de phrases ? Dans le niveau 1, c’était pourtant le mode de communication privilégié, et les gens ne semblaient toujours pas comprendre autrement que quand on leur parlait directement, avec un manque cruel de délicatesse. Sans pincettes, sans rien. Raleigh n’avait déjà pas, légalement, le droit de mettre en pratique ses recherches sur qui que ce soit, s’il devait en plus le faire à distance, il n’allait jamais rien récolter de bon.
« Ensuite, vous êtes dans une clinique médicale. Ce qui sous-entend que mon temps n’est pas rémunéré pour parler philosophie. J’ai d’autres personnes à voir après vous, et je ne peux pas me permettre de perdre mon temps dans des débats qui n’ont aucune place entre ces murs. Je suis médecin. Je soigne les gens. J’ai étudié pour ça. J’ai prêté serment pour ça. Si jamais quelqu’un vient pour un problème urgent et que vous êtes encore là à me demander mon avis sur ce nihilisme, il se peut que les conséquences soient graves. Si vous voulez me parler de vous, je veux que vous me parliez vraiment de vous. De vos problèmes. Qu’ils soient ou non physiques, mais je veux qu’ils vous concernent vous. Que vous soyez inquiète pour vous, pas pour quelqu’un d’autre. »
La patience qui lui était si caractéristique et qui faisait son succès quand il était question de s’occuper des enfants s’envolait aussi vite qu’il devait parler à une personne de sa tranche d’âge. Ce n’était pas contre elle directement. Mais elle lui faisait clairement perdre du temps qu’il pouvait accorder à quelqu’un qui en avait réellement besoin. Si elle voulait vraiment discuter philosophie, elle pouvait toujours contacter une des personnes de son entourage et lui donner rendez-vous au café.
« Je vais donc poser la chose différemment. Avez-vous des problèmes qui vous concernent vous, seulement vous, qu’ils soient physiques ou non ? Et si oui, lesquels ? » |
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| Sujet: Re: Lumières | Fevrier 125 (Raleigh) 24.07.16 14:32 par Eirlys S. Hilbilge | Citer Editer Supprimer |
| Elle le regarde, elle le voit, elle l'écoute. Elle réfléchit. De ses yeux qui cillent pas, elle s'efforce de regarder la vérité en face pour jauger des propos de son interlocuteur. Il n'a pas tort. Elle lui fait perdre son temps. S'il dit qu'il ne peut rien faire pour elle, enfin pour Joshua, alors c'est que c'est le cas. Il n'a pas de raison de mentir et a probablement beaucoup mieux à faire que de parler nihilisme. Pourtant, c'est une théorie qui éveille de curieux échos en elle. Il lui reproche de ne pas avoir parlé d'elle parce qu'il n'a pas su lire entre les lignes et comprendre la vraie raison de sa demande. Elle ne va pas le lui expliquer. Il y a des choses qu'elle sait mais qu'elle n'a pas envie d'entendre, surtout de sa propre voix. Elle hoche la tête, polie, masquée.
« Je vois. Je m'excuse de vous avoir fait perdre votre temps. »
De toute façon, elle ne voit pas très bien comment elle aurait pu parler d'elle. Son corps va bien. Elle n'a jamais été malade, du moins pas dans ses souvenirs, elle vit une vie aussi saine que possible. Pas d'Essence, pratiquement pas d'alcool, pas de tabac, du sport régulièrement, des repas à heure fixe, un sommeil troublé mais pour lequel sa jeunesse compense encore. Quant au reste, les troubles de l'esprit n'existent pas en Pélagia. Elle peut les contempler pour son employé, lui qui va si visiblement mal mais elle refuse d'admettre qu'elle pourrait en avoir et que la disparition de son frère a laissé un abysse au fond de son cœur, de son esprit et de son quotidien. Elle est Eirlys Hilbilge, fille d'Aeder, et elle n'a pas le droit de ne pas le vivre bien. Et puis, au fond, autant insister pour essayer de comprendre et de guérir Wells lui paraissait logique et bien, autant pour elle, c'est une perte de temps bien plus grave. On lui a apprit qu'elle n'en valait pas la peine. Elle se lève, lissant sa jupe, mordant un peu sa lèvre inférieure. Une perle de sang y coule, larme carmin et silencieuse qui s'évanouit rapidement. Sans en parler, elle attrape son sac, le pose sur son épaule, attendant qu'on lui désigne la porte ou qu'on lui réclame un paiement. Elle ne sait pas très bien comment tout cela fonctionne. Est ce qu'elle doit le payer lui ou le faire à la personne qui s'occupait de l'accueil. Les us et coutume internes à Corb lui sont étrangers.
« Je vous remercie de votre patience, » aucune ironie là dedans, juste l'établissement d'un fait poli. Elle est consciente de l'avoir agacé, et reconnaissante qu'il soit resté poli, sans pour autant atténuer la déception sur laquelle elle est trop bien élevée pour insister, « je saurais reprendre contact si je me trouve, un jour, de souffrir de quoi que ce soit. Et je donnerais votre adresse à mon ami, sait-on jamais. »
Elle tend une main ferme, surmontée d'un sourire poli, de façade.
« Au revoir Docteur. »
Elle a une hésitation presque imperceptible. Peut-être aurait-elle pu parler d'elle s'il avait posé des questions plus précises, s'il avait réussi à lui montrer le chemin de l'introspection. C'est trop tard à présent. A moins qu'il ne la retienne, l'entretien était terminé.
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