« don't leave me treasure you ▲ Gabriel

Elle n’a pas oublié ses clefs, c’est déjà ça. Elle les insère dans la serrure en souriant. Elle a réussi. Il a cédé, il a dit oui. Il a hésité, bien sûr, essayé de la convaincre de la mauvaise idée de ce plan en étalant toute une batterie d’arguments qu’elle a envoyé bouler d’un geste de la main pour revenir à la charge, plus agressive. Allons. Ce n’est pas comme si elle allait lui sauter dessus comme une bête sauvage, avide, en manque, dès qu’il aurait fermé les yeux. Elle a ri devant le rose de son visage, s’est retenue de lui planter un baiser sur la joue et elle l’a entraîné sur le chemin du retour comme elle l’avait entraîné dans le parc.

Elle ferme derrière lui, abandonne ses clefs sur le meuble à droite de la porte. Elle se défait de ses chaussures, les abandonne aussi. Elle crie un « Alaska ? Je suis rentrée ! » en sachant que jamais son poisson rouge ne lui répondra – si ça se trouve, dépressif comme il est, il s’est probablement noyé dans sa flotte. Elle se retourne vers Gabriel en souriant, avance en reculant. Elle lève les bras, comme elle l’avait fait un peu plus tôt en sautant de la balançoire.

Clio – C’est chez moi ! Rien de bien folichon mais c’est meublé, ce n’est pas trop grand. C’est cosy. J’aime bien.

Si elle avait été seule, elle aurait déjà retiré son pull et son jeans. Là, comme ça, au beau milieu de son salon. Ce n’est pas comme si elle habitait en colocation et Alaska, la pudeur… Oh, il passait au-dessus. Elle aurait peut-être même bien allumé sur ordinateur pour mettre n’importe quelle musique, pourvu qu’elle puisse danser dessus en mangeant son bol de céréales. Elle se dirige vers la cuisine en passant une main dans ses cheveux.

Clio – Je t’en prie, fais comme chez toi. Tu veux un truc à boire ? J’ai…

Elle se penche, ouvre son frigo.
Ah, ouais.

Clio – … Du lait. Et de l’eau. Peut-être même de la grenadine… !

Elle lève les yeux vers son plan de travail. Rigole.

Clio – Je n’ai plus de grenadine.

Tu vis comme une pauvre, Clio.
Va faire tes courses.

T’es vraiment nulle, quand même. Ne rien avoir à boire. En même temps, la nourriture saine… Elle se contentait parfaitement d’un bol de Cocopops matin et soir. A midi, elle allait se payer un sandwich à l’angle de la rue. Elle secoue la tête en souriant, se penche pour attraper la bouteille d’eau. Elle se hisse sur la pointe des pieds pour attraper un verre pour Gabriel. Tant de gymnastique à faire dans cette cuisine. Elle, elle ne boit rien. C’est un véritable chameau, elle peut tenir des heures sans boire. Et sans aller aux toilettes, accessoirement. Grand talent, Clio. Elle se retourne, tend le verre à Gabriel. Elle l’a entendu saluer Alaska. C’est qu’il doit être encore en vie. Tant mieux, dans ce cas !

Clio – Depuis que j’ai quitté Milo.

C’est ça, son point de repère. Depuis qu’elle a quitté Milo, qu’elle a décidé qu’elle serait une grande fille, qu’elle cesserait d’être une grosse conne naïve. Elle avait quitté son déguisement de Blanche-Neige en entrant dans cet appartement. Mais Milo, Gabriel ne l’a pas connu. Ne le connait pas. Ne le connaitra jamais. Et c’est probablement mieux comme ça. Elle se reprend, dans un sourire.

Clio – Ca fait trois ans, plus ou moins.

En général, les gens se rattachent plus facilement aux chiffres. Ils peuvent ainsi se faire une idée plus précise d’où et quand. Mais Milo, c’est devenu un réflexe. C’est ainsi qu’elle se rappelle. Elle repasse une mèche derrière son oreille, se détourne pour aller vers son canapé où elle s’étale de tout son long, sur le ventre. Elle tapote la place à côté de sa tête, se redresse un peu.

Clio – Viens t’asseoir, ne reste pas debout.

Elle attend qu’il s’installe pour tirer sur ses bras, se rapprocher de lui. Elle pose sa tête sur ses cuisses, ferme les yeux.

Clio – Je suis crevée. Là, d’un coup. BAM.

Et elle rigole. Encore.

Son rire se meurt, elle grogne à la pichenette qu’elle reçoit sur la joue. Elle pourrait s’endormir là, la tête sur ses genoux. Bon, d’accord. Il lui manquerait la couverture mais. Mais elle sait qu’elle est parfaitement capable de s’endormir là, comme ça. Dans son canapé. Elle ouvre un œil, fait de même avec le second. Elle observe Gabriel. Ouais, il a l’air à bout, lui aussi. En même temps, il est quoi ? Trois heures du matin, dans ces eaux-là. Mmh. Elle qui comptait tenir jusqu’à sept heures du matin, qui comptait s’endormir au nez et à la barbe de gens qui se lèvent pour aller bosser. Elle lève la main, la pose sur la joue de Gabriel. Qu’est-ce que tu fais ? Arrête. Elle tapote la joue de Gabriel avant de se redresser.

Clio – Si je reste sur tes genoux, je vais vraiment m’endormir. Et je ne suis pas sûre que tu sois suffisamment bien mis que pour passer une nuit dans cette position.

Elle repose ses pieds sur le sol, se dirige vers sa chambre. Elle doit bien avoir quelque chose pour lui, dans le fond de ses placards. Non, pas dans le fond, en fait. Le haut de sa pile de pyjama. Elle en attrape un au hasard, un avec Hulk dessus, en gros, en large, en vert. Et elle revient dans le salon.

Clio – Réflexe !

Elle lui lance le t-shirt, rigole quand elle le voit essayer de l’attraper.

Clio – La salle de bains est là, juste à côté de la cuisine… Mais c’est moi d’abord !

Et elle s’en va en sautillant et en riant comme un lutin vers sa salle de bains. Gamine. Elle se débarrasse de ses vêtements, envoie son soutien-gorge valser dans la manne à linge sale et elle enfile son t-shirt trop grand, celui avec Thor, qu’elle a choppé dans le rayon masculin d’un magasin. Débarbouillage, un coup de brosse à dents, de la crème. Elle range un peu le bordel, les trucs qu’il n’est pas censé voir – ouais, un peu de pudeur, tout de même. Et elle ressort. T-shirt, culotte. Normal, pour elle. Elle croise le regard de Gabriel, penche la tête sur son épaule et lui sourit. Sale effrontée. Provocatrice de bas étage.

Clio – Tu peux y aller. Fais comme chez toi… Et arrête de me regarder comme ça.

Elle rigole. Vraiment, Clio.

Clio – Je vais aller mettre un bas, t’inquiète. Juste que je n’en avais pas sous la main puisque je n’en porte pas habituellement. Par contre, pour toi, j’ai rien... A part le t-shirt, ouais. Désolée.

Il disparait dans la salle de bains. Elle disparait dans sa chambre. A genoux devant sa garde-robe, la tête entre deux planches, elle cherche un legging ou même un short de sport – le genre de choses qu’elle achète parce qu’elle trouve les couleurs jolies. Le sport, elle a déjà pensé à reprendre mais. Mais non. Elle se débrouille bien, niveau corps, pour le moment. Elle est jolie. On dit qu’elle est bien foutue alors elle le croit. Elle passe ses jambes dans un legging noir, se demandant comment elle allait réussir à dormir comme ça. Elle attrape un oreiller sur son matelas, une couverture dans son armoire et retourne dans le salon où elle abandonne le tout sur le canapé. Elle allume la lampe de chevet, éteint le plafonnier. Et elle retourne dans sa chambre, éteint sa lampe et s’apprête à se coucher. Elle l’entend quand il lui souhaite bonne nuit, elle lui grogne quelque chose ressemblant plus à un « fjbqierg ‘nuit ».

Elle se tourne, se retourne. Elle ne sait pas quelle position adopter. Et dans la tête de Clio, tout est clair. Elle n’a pas sommeil. Enfin, si – elle est crevée. Mais elle trouve encore la force nécessaire de se lever, de parcourir les quelques mètres séparant son matelas du canapé. Elle se laisse tomber devant Gabriel – là où elle devine la tête de Gabriel mais dans le noir, c’est risqué, elle pourrait tout aussi bien parler à ses pieds.

Clio – Gabriel ? Gabriel. Gabe, tu dors ?

Elle pose un doigt sur sa joue, appuie, relâche. Recommence. Agaçante créature. Assise en tailleur, la joue dans la paume de sa main, elle continue de titiller le visage de Gabriel. Elle a sommeil – quand elle est ainsi, c’est-à-dire pire que d’habitude, c’est qu’elle a sommeil. Elle glousse mais elle étouffe son rire.

Clio – Hé. Tu dors avec moi ? Comme ça, je te raconterai toute ma vie jusqu’à ce que tu t’endormes. Elle ne vaut pas le détour mais je peux exagérer assez pour en faire un conte… Dis oui. J’ai pas envie de finir seule.

Ou alors, tu peux aussi dormir sur le parquet ?
Ouais, elle prend note. En plan B.

Clio – Tu viens bosser avec moi, demain ?

Elle laisse ses doigts flotter sur sa peau sans vraiment s'en rendre compte ou en faire tout un plat. Elle se contente juste de dessiner des courbes sur sa peau.

Clio – ... Si tu acceptes, je te laisse tranquille.

Il ne lui répond pas.
Elle met le plan B en exécution. Elle part chercher une couette pour s'en faire un matelas. Elle attrape son oreille, une couverture et s'effondre sur le sol, à côté du divan. Allez, on fait comme si.