Elle se baladait sur les quais avec un regard nostalgique. Ces dernières semaines, les crises de claustrophobie étaient de plus en plus fréquentes, mais il était hors de question qu'elle se laisse aller avec cette petite âme sensible accrochée à son bras. Elle caressa du pouce le dos de la main de Tomás, tendrement. Elle aimait tellement son enfant... Il était la seule raison qui la poussait à tolérer Saül sous son toit et dans son lit... Quand il daignait y entrer. Sans la toucher, bien entendu. Se sentir désirable, ça lui manquait aussi. Était-elle moins jolie ? Moins intéressante ? Elle n'en savait rien, mais ces idées la rendaient malheureuse. Parce que si Saül ne la voulait plus, qui pourrait encore la vouloir ?

Tomàs ayant été très sage ces derniers jours, elle l'avait récompensé en l'emmenant faire une promenade. Ils grignotaient tous deux des snacks achetés à un Trois qui tenait un stand plus loin. Dès qu'il avait pu le comprendre, elle avait expliqué à son fils qu'il ne fallait pas acheter la nourriture vendue par des Uns, parce que les Deux et les Trois ont feront meilleur usage de cet argent, en général. Plus tard, elle reviendrait sur le sujet en détail, mais il lui suffisait de voir le visage du gamin, barbouillé jusqu'aux joues, pour comprendre qu'il adorait ce qu'il mangeait. Elle lui essuierait les joues quand il aurait fini.

« Excusez-moi, monsieur ? »

Elle s'était dirigée vers lui dès qu'elle l'avait vu. Elle tenait à tout prix à ce que son petit ange découvre le plus de choses possibles et elle ne lui avait jamais fait rencontrer un peintre, encore moins en plein action. Elle n'avait pas eu besoin de le lui demander pour savoir si ça l'intéressait : lui-même adorait dessiner ce qu'il lisait dans les livres pour enfant qu'il lisait encore.

« Pourrions-nous vous regarder peindre ? Si cela vous dérange, nous ne nous imposerons pas, bien entendu, mais je pense que Tomás aimerait beaucoup regarder faire un professionnel. »

Elle souriait, timide mais avenante, les joues un peu rosies par son ombre de témérité.

Elle le regardait, elle aussi, un regard intense et mélancolique. Cela lui manquait, l'art, le travail. Oh, elle ne regrettait pas d'avoir eu un enfant. Cétait la faute de Laüs si tout avait déraillé. S'il avait passé moins de temps à courir après le moindre cul un minimum féminin passant à l'horizon, elle aurait pu reprendre sa carrière plus tôt. S'y préparer maintenant la rendait un peu nerveuse. Comme si elle n'était plus à la hauteur.

« Si tu étais une couleur, laquelle choisirais-tu ? »

Elle sourit et laissa l'enfant répondre, croisant brièvement son regard avec une tendresse infinie. Elle savait lui laisser toute la place dont il avait besoin pour s'exprimer, et être là dès qu'il en avait envie. Elle passait parfois des soirées entières à le tenir dans ses bras, et elle lui lisait des histoires qu'il ne pouvait pas encore lire lui-même.

« Ce mauve-là, celui du pull de ma maman. C'est joli non ? »

Elle passa une main sur le tissu doux, d'un mauve un peu plus vif que ce qu'elle portait d'habitude. Soudain, l'impression de claustrophobie se faisait plus pressante et même le fait de sentir deux souffles à proximité la rendait nerveuse. Elle se pencha vers Tomás et lui fit un baiser sur le front, lâchant sa main pour lui caresser le dos. Ainsi, elle cachait l'une de ses mains tremblantes, et l'autre était crispée sur sa propre hanche, les ongles dans la chair pour tenter de contrer la peur.

« Je... Je n'avais plus vu un artiste de rue pratiquer depuis longtemps. C'est un vrai plaisir. Je vous remercie de votre générosité. »

Elle parvenait à garder une voix ferme, presqu'assurée, et douce, pour ne pas effrayer Tomás. Ses besoins de petit garçon passaient avant les siens. Elle ne pouvait exprimer sa peur, parce qu'elle risquait de l'effrayer, de lui laisser voir que sa maman n'était ni la plus forte, ni la plus parfaite.. Mais son regard, un peu perdu dans le vide, ne mentait pas, lui.

Ce qu’il faut savoir avec les enfants c’est que dès que l’on en entend parler un, le deuxième pointe sa queue et ainsi de suite. Depuis la loi de l’être unique les grandes familles ou tout du moins celle composé de deux enfants minimums se font rares. Certains parents ont des oursins dans les poches il faut croire. Mais ce n’était pas le cas pour tout le monde.

En effet, la famille Loftcraft avait cette particularité d’être excessivement bien aisé suite à de beaux héritages laissés ici et là, mais également à des époux et femmes qui avait réussit à se tuer à la tâche pour payer la taxe. Comme le prouve Madame Gertrude Loftcraft et sa belle sœur Mirabelle Loftcraft. Toutes deux mamans de plusieurs petits monstres. La première avait deux garçons, dont un troisième en route, tandis que la seconde, avait un fils d’une dizaine d’année, et un jeune nourrisson.

Alors qu’elles se baladaient dans le port avec leurs chères têtes blondes turbulentes, les deux bonnes femmes commençaient à entreprendre une conversation peu discrète entre-elle. Le tout sous l’œil aguerrit d’un homme peu recommandable.

« Mirabelle, Mirabelle, qu’elle erreur que j’ai bien pu commettre de m’engager à nouveau dans une grossesse…
— Allons donc, tu ne vas tout de même pas y mettre fin, je sais qu’il est encore temps, mais tu les aimes tes enfants.
— Oh oui je les aime. Mais en peinture seulement. Je n’en peux plus de devoir faire la police pour un oui ou un non.
— Raconte-moi tout, qu’elle est donc leur dernière trouvaille ?
— Décapité les poupées de la fille de la nourrice. Soit disant que les jouets de filles c’est quelque chose d’inutile.
— C’est de leur âge Gertrude… Tu verras le 3e ça sera un ange.
— Si je n’avorte pas avant de devenir un poisson lune, peut-être. J’y réfléchis fortement… »

Ainsi la conversation prenait forme, avançant doucement, jusqu’à ce que l’un des deux enfants de Gertrude percute un chevalet de peinture, poursuivit par son grand-frère une figurine à la main.

« — BERTRAND ! JAQUES ! Vous n’avez pas fini vos bêtises !? Vous allez finir par éborgner quelqu’un comme ça ! Grondait Gertrude en prenant ses fils à bout de bras.
— Veuillez les excusez, vous savez ce que son les garçons hein. Tenez pour dédommager de l’accident, parlait vivement Mirabelle en tendant un billet pour dédommager le peintre. »

Ainsi les deux bonnes femmes accompagnées de leurs chères têtes blondes continuaient leurs chemins honteux, et on pouvait entendre Gertrude se lamenter sur son sort, en grondant ses deux fils.