Août 2o14, 12h28.

Une de ces journées calmes, dans lesquelles Leo ne devait pas vagabonder partout. Il les détestait, lui, il n'aimait qu'être sur le terrain, se balader et écouter les ragots. Quand il était cloîtré dans son bureau, à devoir taper sur son ordinateur les comptes-rendus de ses missions, il avait parfois envie de sortir de son enveloppe corporelle pour laisser un robot faire le sale boulot - il espérait d'ailleurs secrètement qu'un jour, la FFOV soit capable de construire ce genre de robots. Il n'y avait que la pause déjeuner qu'il arrivait à apprécier, lui qui emmenait les petits plats de maman au travail, comme un enfant trainerait son goûter avec lui dans la cour de récré.

C'est lorsqu'il était encore en train de lécher sa fourchette qu'il entendit son nom dans les hauts parleurs. Ce n'était pas souvent qu'on le sonnait de cette façon. Tout le monde avait le numéro de téléphone de tout le monde ici, c'était donc forcément quelqu'un d'extérieur, ce qui était encore plus inhabituel. Il laissa le reste de son déjeuner en plan, attendant d'avoir réglé cette affaire pour déguster le tiramisu de sa mère, et s'essuya la bouche en espérant de pas avoir oublié de traces sur son visage. Il descendit les marches pour s'avancer vers le hall et c'est là qu'il vit qui était derrière cet appel.

Pendant un moment, il s'arrêta fixe, juste avant qu'elle ne puisse le voir à son tour et hésita à partir en catimini et s'enfuir loin pour ne pas être harcelé par cette folle. Elle avait l'air stressée et énervée, ce qui n'était définitivement pas bon signe. Leonardo fouilla dans ses poches, à la recherche d'un des miracles de Damiana, qui aurait pu lui sauver la vie, mais lorsqu'il était ici il avait toujours ses poches vides. Il prit donc son courage à deux mains, ce n'était pas son genre d'abandonner, encore moins lorsque tous ses camarades de travail étaient là pour voir sa lâcheté. Il fit un petit signe à la demoiselle de l'accueil, un clin d’œil dragueur en guise de merci, et continua sa route vers la harpie aux cheveux ébouriffés.

“Hm. Bonjour Cornelia. Je peux... t'aider ?”
Il s'était avancé vers elle, les mains derrière le dos, sans pouvoir s'empêcher de se triturer les doigts de peur de se faire planter un couteau dans le ventre dans l'instant qui suivait. “Je ne m'attendais pas vraiment à ce que tu viennes... ici. Tu veux monter, qu'on puisse discuter calmement ?”

A peine le temps de réfléchir s'il devait l'écouter plutôt que se méfier que Leonardo est emporté par la tempête. Aggripé par le bras comme un amoureux (ou comme le faisait sa grand-mère pour marcher, mais restons sur l'image de l'amoureux), Leo se laissait guider par une Cornelia qu'il voyait depuis longtemps comme folle, mais nouvellement comme stressée. Elle marchait vite, elle scrutait tout, et visiblement cela la hantait. Il fallait encore résoudre l'équation, savoir ce qui la perturbait tant, mais Leonardo se disait intérieurement qu'elle même devait ignorer de quoi il s'agissait.

Plaqué contre le mur dans l'escalier, il ne pouvait rien faire. Une réaction de travers trop énervée contre elle ferait qu'une armée de gorille en costume viendraient la chercher pour la foutre à la porte ; et, il ne sait exactement pourquoi, Leonardo n'avait surtout pas envie de cela. “Mais... de quoi est-ce que tu parles ? Qu'est-ce que j'ai dis à qui ?” Les bras en l'air, il ne put s'empêcher d'avaler de l'air pour s'empêcher de crier lorsque Cornelia tomba sur les marches. Se précipitant pour l'aider, puisqu'il avait un bon fond qu'il contrôlait difficilement, il lui prit la main et la leva d'un geste plutôt fort, si bien qu'elle pourrait en être déboussolée à son retour debout.

“Tu n'as pas besoin de me demander, je ne comptais pas laisser une demoiselle allongée sur les marches !” Il lui épousseta la jupe, regarda autour de lui pour s'assurer que personne ne viennent les embêter, et la guida jusqu'à son bureau aussi vite que possible. Sans un mot du trajet, aussi court soit-il, une fois arrivée en terrain connu, il ferma la porte et se retourna brusquement vers elle. “Bon, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu crois que quelqu'un t'espionne et que j'ai quelque chose à voir avec ça ?”

Il la contourna pour aller ouvrir un de ses tiroirs et en sortir un paquet de cigarette. Il lui tendit le paquet au cas où elle voulait se servir, puis alluma ce qui était à sa propre bouche. “Cornelia... tu as pris tes cachets ?” C'était soudain devenu clair. A l'observer, la voir en complète paranoïa à la Adélaïde x25, cela ne pouvait être que cela. Il lui avait fallu quelques secondes pour se rappeler qu'elle n'aimait pas simplement être folle mais qu'elle ne le contrôlait que trop mal. Il s'était mis à la regarder avec un petit quelque chose de tendre, lui qui ne savait pas ce que voulait dire "avoir un problème" était toujours aussi perdu devant une damoiselle en détresse.

Elle avait en effet définitivement perdu la raison. Leonardo essayait tant bien que mal de la comprendre mais ce n'était pas gagné. Entre la vitesse de ses paroles, mais surtout le fait qu'il n'y ait aucun sens, il ne parvenait à capter que la moitié de ses propos. Tout juste assez pour comprendre qu'elle avait en effet peur, peur qu'on ne la découvre et que sa mission échoue. Au final, Leo lui-même ne savait pas grand chose d'elle de toute façon, sûrement pas assez pour la mettre en danger, peu importe à quiconque il en aurait parlé. Si seulement il avait parlé de sa nouvelle rencontre...
Il en était à peu près sûr maintenant, elle avait merdé avec ses cachets.

Son baiser volé fut tout aussi soudain que suspect, mais le grand brun ne put pas réagir malgré tout et se laissa simplement faire. En revanche, la voir commencer à fouiller, ça, ce n'était pas bon. “Les Septs... ?” Il avait décidé de ne faire aucune remarque désagréable sur le fait qu'elle fouine dans ses affaires : à la moindre exagération, il la perdrait sûrement définitivement. Il se contenta de la laisser regarder ce qui l'intéressait, en répondant au mieux à ses questions. Mais quand il n'y aurait pas de réponse, la situation deviendrait difficile.
Leonardo ne savait pas quelle était la meilleure réaction. S'il dit la vérité en maintenant qu'il ne comprend rien à ce qu'il se passe et qu'il n'a parlé à personne, elle ne le croira pas. S'il ment et dit qu'il a tout raconté à un supérieur, elle risque de le tuer. Et s'il ment à moitié, et dit qu'il a simplement raconté à un ami FFOV qu'il a rencontré une prof très intéressante, ça ne lui conviendra pas non plus. Mais ne pas répondre serait sûrement de loin la pire des alternatives. Il est piégé, menotté, et elle ne va pas tarder à tomber sur des choses qu'elle ne devrait pas voir.

“STOP, regarde-moi !” De sa main libre, il réussit à l'attraper au passage, par le bras. Il remonta le sien jusque vers son cou et sa nuque. “Il n'y a personne, Cornelia. Aussi con que ça te semble, la FFOV est vraiment un endroit sécurisé, il ne t'arrive rien ici.” Il remonta son pouce jusque sur sa joue pour la caresser doucement dans l'espoir, sûrement vain, de la calmer au mieux. “Personne ne viendra te chercher ici.” Descendant son bras jusque dans son dos, il la rapprocha de lui pour l'enlacer avec toute la force dont un manchot était capable. “Il faut que tu me dises de quoi tu as peur si tu veux de l'aide. Je ne suis pas contre toi.”

La voir soudainement si sensible, à fleur de peau, vulnérable... Leonardo ne savait si cette nouvelle femme était la vraie Cornelia, ou si au naturel elle était plutôt comme la femme forte dont il avait le souvenir. Il ne disait rien, sans s'arrêter de la regarder, rivé sur ses yeux gorgés de larmes. Il se prit réellement d'affection pour la harpie devenue brebis, il n'était pas vraiment difficile de l'attendrir de toute façon.
Lorsqu'il fut libéré de ses fausses-menottes, il eut malgré tout le reflex de poser sa main sur son poignet et de regarder s'il n'avait pas de traces, comme s'il avait mal à cause du fer qui l'avait retenu. Ce n'est qu'à la sensation de l'index entre les deux yeux qu'il releva sa tête.

“Hé, tu ne crois tout de même pas qu'on se débarrasse de moi comme ça ? Et je suis sûr que c'est la même chose pour toi.” Il posa sa main sur sa cuisse, puis s'avança vers elle pour se placer entre ses jambes, encerclé à nouveau, dans un bureau différent. Il lui agrippa les deux cuisses pour la rapprocher de lui et l'enlaça en serrant fort, comme s'il espérait faire disparaître ses mauvais sentiments. Il resta quelques secondes ainsi, sans rien lui dire, juste à la câliner, puis finit par lui susurrer :“Ne me dis rien si tu n'en as pas envie. Contente-toi de lâcher prise, de ne plus y penser, et l'hallucination disparaîtra.”

Il desserra son étreinte pour se reculer d'elle et lui sourire avec une étonnante sincérité pour sa réputation de menteur. Une petite caresse sur les cheveux, et il la prit finalement dans ses bras en la portant, les mains non loin de ses fesses. Il n'était pas du genre à profiter des femmes dans leur moment de fragilité, mais il ne pouvait pas s'empêcher de sourire en sentant la fermeté de son fessier. Il la déposa pas bien loin, sur un divan (tout bon italien a un divan dans son bureau, oui). Il avait un tissu plutôt laid et n'était pas confortable, mais c'était amplement suffisant pour se reposer quelques secondes. Lorsqu'il la posa, il fit en sorte qu'elle se recroqueville, prenant ses jambes entre ses mains - une sorte d'intuition le poussait à croire qu'elle serait plus apte à se calmer si elle se sentait enfermée dans son monde.

“Reste-là quelques minutes, calme-toi. Je vais te faire un thé. Et on verra si tu ne veux toujours rien me dire.” En même temps qu'il parlait, il avait avancé vers la bouilloire qu'il avait commencé à faire chauffer. Un sachet de thé dans la tasse et on entendait déjà les bulle bouillonnaient. 3 secondes plus tard, il revenait avec le thé, encore chaud, et soufflait doucement dessus en l'apportant à la princesse en pleur. “Je te le pose là.” Il désigna une petite table derrière le divan. “Je te protégerais des coups de feu, ne t'inquiète pas.” Et il l'embrassa délicatement sur le front.

Elle ne rechignait pas, ou plus, peut importe ce que Leonardo lui faisait "subir". Elle n'était vraiment pas la personne qu'il avait rencontré quelques jours plus tôt, dansant en nuisette dans un bureau qui n'était pas le sien. Cette maladie, qu'il avait presque envié pour le plaisir de faire ce que l'on souhaite, était finalement un véritable calvaire au quotidien. Heureux les simples d'esprit, comme dirait l'autre ?
“Haha, les femmes ont autre chose à regarder que le divan, en règle général.” Il lui fit un clin d’œil. C'était au même moment qu'elle jouait avec son élastique. Il s'accroupit pour se retrouver assis par terre, dos au divan, la tête pas bien loin des coudes de Cornelia. Il se mit de trois-quart pour pouvoir la voir et lui répondit. “Pourquoi je te protègerais ?” Il fit son petit air étonné, comme s'il était naturel qu'un prince charmant protège la jeune fille enfermée dans sa tour.

Cependant, il y songea un instant. C'était vrai qu'elle avait été au-delà d'infecte. Même sa simple venue ici était initialement malintentionnée. Alors pourquoi est-ce que lui, qui pouvait s'occuper de bien d'autres femmes, été captivé par Cornelia ? “Peut-être parce qu'on est pas bien différents. On fait la même chose. On fouille pour des gens qui nous manipulent pas mal, mais on le fait aussi pour le plaisir.” Il se gratta le nez grossièrement, tout en laissant aller sa tête en arrière. “On n'est pas dans le même camp, mais tant qu'on se bat pas l'un contre l'autre, je préfère quand même croire qu'on est des alliés, des amis. Donc... ça me semble normal de défendre son amie.”

C'était vraiment un beau parleur. Oh, il pensait ce qu'il disait, mais la façon de le faire était théâtralisé au millimètre. Cela lui donnait plus de "profondeur", dans son esprit. Et après tout, cela fonctionnait. Il se releva en forçant sur ses jambes et montra ses biceps comme le font les culturistes. “Et puis tu ne me connais pas si bien, mais je suis dangereux aussi, regarde !” Il se mit à rire quelques millisecondes. “Ca va mieux ? Tu ne veux toujours pas me dire qui sont ces hommes dangereux, et ce qu'ils pourraient te vouloir ?”

Leonardo aimait beaucoup cette atmosphère de complicité, d'intimité, qui se frayait un chemin parmi les reniflements de Cornelia. Il avait toujours aimé être rapidement proche d'une personne, au lieu de jouer au chat et à la souris pendant des jours. Quand elle se mit à parler de ce qu'elle faisait, lui ne dit rien. Seulement, il se posait des millions de questions. Il était clair qu'il y avait des choses qu'il ignorait, il en était conscient et même reconnaissant - lui qui, parfois, n'aimait pas fourrer son nez dans des affaires qui sentaient mauvais -, mais de cette envergure, cela le foutait presque hors de lui au point qu'il avait envie d'enquêter seul, pour son compte. La PV, mais aussi la FFOV, cachent beaucoup de choses, et c'est étonnant qu'une femme instable comme elle soit mise au courant. Très étonnant, même.

Lorsqu'elle insinua qu'il aurait envie de la tuer, Leonardo la regarda subitement en crispant son visage d'énervement. “Je ne suis plus du genre à tuer des gens, je suis pas venu à la FFOV pour assouvir ma soif de sang bien chaud alors je peux t'assurer que là-dessus... Tu te trompes. Je ne voudrais jamais te tuer.” Il se rassit dos à elle, en plongeant son regard dans ses propres mains, comme nostalgique. En voyant la sienne, ballante, criant à l'aide, il la saisit sans même réfléchir. “Bien sûr que tu peux rester chez moi.” Et il embrassa sa main comme il l'avait fait précédemment avec son front.

Il se leva un peu brusquement et s'avança vers son bureau pour en décrocher le téléphone. Il s'agissait d'une ligne interne, et il appelait un supérieur direct. “J'ai besoin d'une journée OFF. Ouais, me demande pas, c'est pour mettre en ordre des informations pour une mission, je peux juste pas rester ici à taper sur cet ordi. Je ferais mon compte-rendu demain... Ok. Merci.” Il releva sa tête vers Cornelia en prenant sa veste qui se trouvait posée sur le dossier de sa chaise et deux ou trois choses qui étaient rangées dans ses tiroirs. “Prête, on y va ?”

Il sorti le premier du bureau, sûrement pas par manque de galanterie, mais plutôt pour faire attention à ce que personne ne soit dans le coin. En revenant vers Cornelia et le pas de la porte, il plaça sa veste sur ses épaules et la poussa pour qu'elle se retrouve dans le couloir ; qu'il puisse ainsi fermer son bureau à double tours, il n'aimait pas qu'on vienne y fouiner. “J'habite dans le Dorsoduro, le trajet ne devrait pas être trop long, on va prendre un taxi.” Il mit son bras autour des épaules de Cornelia pour marcher sans qu'elle ne tombe cette fois et, ensemble, il se dirigèrent vers la sortie.

Il était heureux, qu'elle pose doucement sa tête contre son épaule. Elle devenait... docile. Il n'avait pas forcément d'idées derrière la tête - bon si, mais il en avait tout le temps - mais il était surtout rassurée qu'elle se soit calmée et soit revenue à une forme de raison moins psychotique. “Voisin ? Il faut avouer que c'est un quartier agréable !” Il ne l'avait jamais croisé, mais le quartier était grand et ce n'était pas étonnant de se rendre compte que des connaissances y vivaient. Il hésita cependant à lui dire qu'il vivait toujours chez ses parents, puisque il essayait par tous les moyens de se persuader que c'est peut-être leur terrain, mais que la dépendance qu'il a aménagée est bel et bien à lui seul.

Après avoir fini de descendre les marches, il fit un signe de la tête à la secrétaire du hall, qui faisait une tête blasée et énervée. Il avait pourtant une bonne relation avec elle... il règlerait ce souci une autre fois. Une femme qui accueil chacune des personnes qui passent ses portes était une alliée de taille qu'il ne voulait pas se mettre à dos, même s'il la considérait comme la dernière des abruties, à ne pas avoir été capable de faire un boulot avec un peu plus d'intérêt.

Une fois que Cornelia l'eut lâché, il fit signe à un chauffeur de taxi qu'ils avaient besoin de lui. Ils étaient assez nombreux à attendre devant les grandes entreprises de ce genre, ils s'avancèrent donc vers la gondole. “Pourquoi tu veux que ça m'embête d'être vu avec toi ? Je suis très bien moi, avec toi.” Et il mit le pied sur les planches de bois, après avoir aidé Cornelia à le faire quelques minutes plus tôt. Il s'avança vers le gondolier et lui donna son adresse, en lui indiquant par où passer pour ne pas se retrouver dans des canaux bondés.

Ils ne dirent pas un mot dans cette gondole, observant Venise défiler au rythme des clapotis de l'eau. De toute façon, il l'avait dit, le trajet n'était pas bien long. Et en un claquement de doigt ils étaient devant le ponton privé de Mr Gianni, auquel était attaché une petite barque qui visiblement ne servait pas souvent.